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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/774

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REVUE DES DEUX MONDES.

seur à Deventer. La bibliothèque royale de La Haye possède une traduction manuscrite du roman de Lancelot du Lac, document précieux à double titre, qui intéresse vivement l’histoire spéciale de la littérature hollandaise et les problèmes plus généraux qui se rapportent à notre ancienne poésie. M. Jonckbloet a été chargé, par le gouvernement de son pays, de la publication de ce Lancelot hollandais. Le premier volume a paru en 1847 ; la seconde partie exigeait des recherches nombreuses sur plus d’un point et la solution préalable de maintes difficultés philologiques, car le texte hollandais présente çà et là de graves lacunes, et pour essayer de les combler, il fallait comparer entre elles les différentes formes connues de ce vieux poème si cher à nos ancêtres. Or, cette comparaison, dès qu’elle est faite avec intelligence, évoque immédiatement les problèmes les plus ardus de l’histoire littéraire du moyen-âge, ces problèmes qui ont tenu si long-temps en haleine l’érudition conquérante de Fauriel, et sur lesquels le scrupuleux écrivain a laissé en mourant des conclusions toutes différentes de celles que renferment ses publications antérieures. M. Jonckbloet n’a pas reculé devant les obstacles ; il est venu à Paris, il a cherché dans les riches manuscrits de la Bibliothèque nationale tout ce qui pouvait éclairer son sujet, et il est arrivé à des résultats qui ne manquent pas d’importance. C’est l’introduction de ce second volume, publiée à part et rédigée en français sous ce titre : « le Roman de la Charrette, d’après Gauthier Map et Chrestien de Troies, » que nous recommandons à l’attention des esprits studieux.

Le roman ou conte de la charrette est un épisode de ce roman de Lancelot, qui, sous tant de formes différentes, en prose, en vers, en latin, en langue romane, en provençal, dans presque tous les idiomes de l’Europe, en grec même, a ravi l’imagination des vieux âges. On connaît les vers du poète florentin

Noi leggiavamo un giorno, per diletto,
Di Lancilotto, corne amor lo strinse :
Soli eravamo, e.senza alcun sospetto.

Il y aurait de bien charmans détails littéraires à donner sur le poème qui attendrissait ainsi la voix austère de Dante. Les investigations érudites en un tel sujet ont aussi leur avantage et leur prix. M. Jonckbloet s’est attaché, dans son travail, à deux questions principales. On avait déjà longuement discuté, en Angleterre et en France, sur l’auteur de ce roman et sur l’origine des poétiques traditions d’où il est sorti. M. Paulin Pàris, qui a eu le mérite de pénétrer un des premiers ces mystérieux arcanes, ne pensait pas, il y a quelques années, que le Lancelot appartînt aux traditions bretonnes ; lady Guest dans son édition du Mabinoyion, et M. de la Villemarqué dans ses Contes populaires des anciens Bretons, ont soutenu avec succès l’opinion contraire. Quant au nom de l’auteur, les recherches de M. Paulin Pàris (les Manuscrits français) et de M. Thomas Wright (Biographia britannica literaria) ne permettent pas de douter que ce ne soit Gauthier Map ou Walther Map, savant prêtre gallois, auteur du curieux livre de Nugis curialium, qui joua dans les lettres et dans la politique un rôle assez considérable sous le roi d’Angleterre Henri II. Ces points élucidés, restaient encore plusieurs problèmes, dont la solution intéressait spécialement l’éditeur du Lancelot hollandais. Gauthier Map a-t-il écrit son roman en latin ou en français ? la rédaction de Lancelot en prose française est-elle antérieure ou postérieure au Lancelot en vers de Chrestien de Troies ?