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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/833

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qui sont inévitables. Si la France veut résister au désordre, il est bien clair qu’elle ne le peut qu’en rayant ces mots commodes de fatalité et de circonstances pour y substituer ceux de responsabilité et de courage.

L’optimisme, qui a sa part de vérité quand on le réduit à l’idée d’un certain progrès, fruit laborieux de la marche du temps et des luttes humaines, me paraît avoir reçu sous la plume des historiens l’extension la plus déplorable. C’est un lieu commun de l’histoire comme elle s’écrit de nos jours de proclamer à tout propos, particulièrement au sujet de la révolution, que l’ordre général est sorti et dès-lors peut sortir encore des crimes et des désordres particuliers. Admirable encouragement donné à l’esprit de révolution ! prémisses dont la conclusion pratique est celle-ci : L’ordre viendra certainement, commençons par faire le chaos. ! Je n’ai pas la pensée d’engager un débat en forme sur les principes de l’optimisme ; je dirai seulement qu’ici, comme d’ailleurs en tout ce qui touche la révolution, les penseurs ont prêté à la Providence leur propre subtilité : j’ai peine à croire, pour moi, que sa logique ne soit pas beaucoup plus simple qu’ils ne l’imaginent : le bien produit le bien ; où le mal est semé, c’est le mal qui germe. Cette supposition, qui est la plus naturelle, est confirmée par les faits. Si le mal a pu servir quelquefois d’occasion et de prétexte au bien, on ne pourrait guère montrer qu’il en ait été jamais la cause directe. Que l’esprit révolutionnaire en soit bien convaincu : la liberté politique ne s’est pas fortifiée dans le sang, elle s’y est noyée. Les désordres et les excès de la révolution ne nous ont légué que des sophismes et des partis. Il n’y a que les principes légitimes et les actes avouables qui aient porté des fruits d’ordre, de justice et de paix. La prétendue puissance d’une alchimie mystérieuse qui change le mal en bien, la folie en sagesse, le crime en vertu, est un leurre de la métaphysique exploité par l’histoire. Il mène, en politique, par une fausse sécurité qui s’en remet avec une imprévoyance béate sur la Providence, précisément à l’opposé de ce que Bossuet appelle, dans son haut bon sens, ne rien laisser à la fortune de ce qui peut lui être enlevé par conseil et par prévoyance.

Si ces erreurs, dont l’histoire de la révolution française a été le prétexte, n’étaient que de pures thèses de philosophie, d’inoffensives généralités historiques, peut-être aurait-on pu les laisser dans les livres, ou ne les combattre qu’à titre d’idées contestables. Malheureusement ce n’est pas ici le cas de cet exercice purement logique ; je ne crois pas que l’influence pratique de ces idées puisse être méconnue ; elle est profonde et générale. Elles règnent dans une partie inconséquente de l’opinion modérée, elles règnent dans les sectes révolutionnaires, dont elles forment en grande partie la philosophie, et auxquelles elles