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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/848

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de gagner sa vie, de rester honnête et probe, et il devait nécessairement contracter de bonne heure des habitudes laborieuses et se plier à une conduite régulière. Tout ce que nous avons fait de nos jours pour l’enfance et la jeunesse, c’est de limiter le travail de chacun à la force de ses bras ; plus prévoyantes et plus sages en tout ce qui touche la dignité de l’homme, les lois du passé cherchaient, quand l’ouvrier, tout jeune encore, avait franchi le seuil de l’atelier, à le défendre contre le vice : c’était aussi le défendre contre la misère.

Les fils de maître formaient, parmi les apprentis, une classe à part. La durée de leur apprentissage était moins longue, les droits qu’ils payaient à leur entrée dans le métier moins élevés ; quelquefois même ils étaient dispensés du chef-d’œuvre. Le privilège de la naissance se trouvait donc ainsi consacré jusque dans les rangs les plus obscurs. On avait vu des nobles donner à leurs enfans en bas âge l’investiture des bénéfices ecclésiastiques ; on avait vu un comte de Vermandois placer son fils, âgé de sept ans, sur le siége archiépiscopal de Reims illustré par Hincmar ; les mêmes abus se produisirent dans la féodalité industrielle, et l’on vit des maîtres faire conférer, dès l’âge de quatre ans, la maîtrise à leurs fils.

À côté des apprentis, nous trouvons les compagnons, c’est-à-dire les ouvriers qui, ne pouvant ouvrir un atelier pour leur compte et avoir directement affaire au public, travaillaient en sous-oeuvre pour le compte des maîtres. Le compagnonnage, dans quelques professions, complétait pour ainsi dire l’apprentissage, et alors ce n’était qu’un état transitoire, mais le plus généralement c’était une condition tout-à-fait permanente, une condition secondaire dans laquelle se trouvaient relégués pour toujours ceux qui, faute d’argent, n’avaient pu, l’apprentissage terminé, arriver à la maîtrise. Les compagnons étaient soumis au serment sous la foi duquel on exerçait le métier, à une épreuve de capacité et à quelques redevances en argent ; mais l’épreuve était plus facile que le chef-d’œuvre, et les droits moins élevés que ceux de la maîtrise. Ils pouvaient en quelques villes, et par un privilège fort rare d’ailleurs, travailler en chambre pour leur propre compte, mais il ne leur était point permis d’ouvrir une boutique ou d’employer d’autres compagnons. Le plus ordinairement ils se louaient soit pour un temps fixe, soit pour une besogne déterminée. Il fallait, pour qu’ils changeassent d’atelier, qu’ils fussent libres de toutes dettes, de tout service, et qu’ils prévinssent le maître un mois à l’avance quelquefois même ils ne pouvaient le quitter qu’après avoir obtenu son consentement formel, sauf quelques cas exceptionnels, tels que les voies de fait, le non-paiement des salaires et le manque d’ouvrage pendant un certain nombre de jours. Quiconque employait un compagnon engagé ou endetté vis-à-vis d’un autre maître était passible d’une amende ; quelquefois même il devait payer la dette. Cette dernière disposition a été consacrée de nos jours par la législation des livrets.

Écrasés par le monopole des maîtrises, les compagnons cherchèrent dans l’association les garanties que leur refusaient les lois. Ils s’organisèrent en vastes sociétés secrètes, se lièrent entre eux par des cérémonies mystérieuses et se placèrent sous la protection d’une légende biblique. À les en croire, Salomon, lorsqu’il fit construire le temple célèbre auquel il laissa son nom, rassembla de toutes les parties de l’Orient des maçons, des menuisiers et des couvreurs,