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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/899

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jugeait en considérant chaque écrivain isolément et en ne le comparant qu’à ses goûts à elle. Par cela seul, ils contribuèrent à développer les habitudes studieuses, la curiosité intellectuelle, et ils mirent en circulation une foule de documens propres à faire connaître l’esprit des diverses époques, comme à élargir l’intelligence en multipliant ses points de comparaison. Toutefois eux-mêmes ne jugèrent pas assez ou ne jugèrent que le costume de la poésie aux diverses époques ; ils s’arrêtèrent trop souvent aux effets de mots, aux adresses du métier. Comme historiens, ils se bornèrent ainsi à peu près à faire l’histoire des procédés et des pratiques du culte littéraire ; comme appréciateurs, ils ne classèrent guère les hommes que d’après leurs manières ; comme législateurs enfin, ils visèrent presque exclusivement à rechercher et à indiquer les formes en qui résidait toute efficacité, les règles de l’étiquette que tout sentiment et toute conception devaient suivre pour être orthodoxes.

Ah ! c’est bien là l’éternelle hérésie de notre race : l’idolâtrie des formes, c’est-à-dire l’incapacité d’apercevoir sous les formes le genre de caractère qui se manifeste par elles, et de réserver pour lui le blâme ou l’approbation ! Pour m’expliquer les vaines superstitions dont s’est encombrée notre religion, je n’ai pas besoin de les attribuer aux jésuites et aux hypocrites ; je n’y reconnais que trop les produits naturels du même esprit qui s’affiche dans tous nos actes. Si nous ne sommes pas, au même point, que l’Italie, le pays des grammaires, des arts du salut, des arts poétiques et de toutes les recettes pour fabriquer de belles œuvres sans avoir l’ame belle, nous nous dédommageons amplement d’un autre côté. Après les journées de février, la première pensée de nos nouveaux gouvernans n’a-t-elle pas été de régler les cérémonies de la démocratie, d’inscrire des mots sur les monumens et d’organiser des fêtes républicaines, absolument comme la première république avait cru se fonder en décrétant des fêtes de litre suprême, des déesses de la Raison, et des calendriers avec de nouveaux noms pour les jours et des légumes au lieu de saints ? Après le cérémonial de la dignité classique est venu le rituel convulsionnaire du romantisme, après les adorateurs des formes de phrases sont arrivés les adorateurs des formes sociales. Leurs prédécesseurs n’avaient pas eu d’yeux pour voir que les formes poétiques indiquaient simplement la nature de nos sensations ; à leur tour, ils n’en ont pas eu pour voir que les formes sociales n’étaient elles-mêmes que la révélation des besoins et des aptitudes des peuples, et que la question n’était pas de trouver la forme qui était la meilleure pour n’importe quelle société, mais bien et toujours de trouver la forme de nature à harmoniser les élémens existans, ou de développer les facultés qui pouvaient rendre possibles des formes plus désirables.