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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/914

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frères Lenain jusqu’à Charlet. Les œuvres érudites de David, les tableaux lettrés, pour ainsi dire, de Girodet et de Guérin, ne pouvaient se produire qu’en vertu du caractère de notre art, et ne sauraient avoir d’équivalens en Hollande ou en Italie. Enfin, il n’est pas jusqu’aux hommes dont le talent semble le plus fougueux, Jouvenet, Gros, Guéricault, qui ne laissent voir que la verve procède chez eux de la concentration de la pensée beaucoup plus que de l’inspiration subite. La preuve en est dans le nombre d’esquisses où ils ont à l’avance étudié leurs compositions[1]. En revanche, on ne compte parmi les artistes français, sauf de rares exceptions dont les plus brillantes appartiennent à notre époque, ni de très puissans dessinateurs, ni de grands coloristes, ni de fantaisistes absolus, hormis un seul peut-être, Antoine Watteau. La clarté et la convenance sont ici les lois le plus généralement obéies ; la voix surtout écoutée est celle de la raison. De là vient sans doute la facilité avec laquelle nos plus beaux tableaux peuvent être racontés. Une simple description des Bergers d’Arcadie, de la Mort de saint Bruno, de la Justice de Prudhon, etc., révélerait le sens et la portée morale de ces chefs-d’œuvre : le moyen de comprendre sans les voir les Noces de Cana, l’Antiope, la galerie de Médicis, la Sainte Élisabeth, et tant d’autres tableaux admirables des écoles d’Italie, de Flandre et d’Espagne !

Un pays où les arts résultent surtout de la réflexion devait être favorable à la gravure, dont les conditions, — perception exacte de l’intention d’autrui, patience dans le travail, sûreté de l’exécution, — ne peuvent se trouver remplies qu’à force de pénétration et de méthode. Aussi les graveurs français annoncèrent-ils, dès le début, leur excellence prochaine. Leur style, se châtiant à mesure que grandit la peinture nationale, s’épure de plus en plus, et finit par acquérir une fermeté parfaite ; lorsque, plus tard, il devient un peu moins contenu, lorsqu’il se revêt de grace au détriment peut-être de sa décision première, il ne perd point pour cela son caractère propre, encore moins sa prééminence : il en est de même aujourd’hui. Nos estampes demeurent des modèles pour les graveurs étrangers, et les plus distingués de ceux-ci se sont formés directement à notre école, ou sont venus en France pour y perfectionner leurs talens.


I. – ORIGINE DE L'ART. – NIELLES. – PREMIERS PROGRES DE LA GRAVUER.

Les peuples de l’antiquité semblent avoir pratiqué, de tout temps, la gravure, c’est-à-dire l’art de représenter les objets sur le métal ou sur la pierre par des contours dessinés en creux. On trouve, dans la

  1. Le Radeau de la Méduse, par exemple, est le fruit d’efforts patiens dont on peut suivre la série dans plus de dix essais peints ou dessinés qui ont précédé le tableau.