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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/921

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saint André, en 1486, il me plaça chez maître Michel. Dieu m’accorda une grande application, et je fis bientôt des progrès, au dire de mon maître. » Les progrès d’Albert Dürer furent rapides en effet. Ses premières pièces gravées n’étaient encore que des copies d’après Wolgemuth ; mais les essais originaux qui les suivirent, tout en n’offrant encore qu’une imitation de la manière traditionnelle, portent néanmoins l’empreinte d’un sentiment indépendant. Ainsi, à peu près a la même époque, le génie créateur de l’élève du Pérugin commence à se révéler en empruntant les formes du seul style autorisé dans l’école ; ainsi la main soumise qui trace le Sposalizio à l’exemple et sous les yeux du maître obéit déjà en secret aux divins instincts de Raphaël.

Après quelques années passées sous la direction de maître Michel, Albert Dürer, dont la réputation commençait à s’étendre au-delà des murs de Nuremberg, entreprit un voyage en Allemagne où il ne rencontra que des admirateurs, et lorsqu’il revint se fixer dans sa ville natale, en 1494, une femme qui l’avait autrefois dédaigné et qu’il aimait passionnément, Agnès Frey, consentit enfin à l’épouser. Union funeste, qui devait entraver par de cruels chagrins domestiques la destinée de ce noble artiste, et le faire mourir avant l’âge ! On sait que la femme d’Albert Dürer, avare et impérieuse, lui permettait rarement de quitter le burin pour la palette et le ciseau ; elle exigeait de lui une assiduité continue, et, comme elle tirait plus de profit de la vente des estampes que de celle des tableaux, elle n’entendait pas qu’il préférât à la gravure des occupations moins lucratives. Dürer obéissait à ce joug, et sortait à peine de son atelier, de peur de s’entendre accuser de paresse et d’avoir à essuyer des reproches qu’on ne lui épargnait pas à la moindre infraction : témoin ce jour où, surpris dans la rue par sa femme, qu’il croyait à l’autre bout de la ville, il fut contraint de rentrer au logis et d’expier par un travail prolongé au-delà de l’heure ordinaire son oisiveté de quelques instans. De temps à autre pourtant la patience lui échappait, et, sans prendre congé, il se sauvait alors aussi loin qu’il pouvait aller : le plus ordinairement en Hollande, où il s’était lié d’une étroite amitié avec Lucas de Leyde, son rival en talent et le créateur de l’école de gravure des Pays-Bas. Une fois même, il prit le chemin de l’Italie, et ne revint chez lui qu’après un assez long séjour à Venise, où l’avaient assailli des démêlés d’autre sorte. Des gravures sur bois signées de ses initiales, et qu’il reconnut aisément pour des copies, s’y vendaient publiquement comme ouvrages de sa main. Quel était le faussaire ? Un jeune homme qui, sans réputation personnelle, avait imaginé ce moyen de débit, et prélevait tranquillement sa dîme sur la renommée de Dürer comme sur l’ignorance des acheteurs. Bientôt découvert, il avoua la fraude, essayant de la traiter légèrement et de la tourner en plaisanterie ; mais l’artiste allemand