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Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 8.djvu/920

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conçues et exécutées dans le pur goût, allemand. Certes, l’humble artisan ne pressentait guère de son vivant qu’il intéresserait si fort la postérité, et qu’après avoir, durant trois siècles, joué aux yeux de ses compatriotes le rôle respectable d’une victime de l’erreur, il finirait un jour pas être exposé à passer tout uniment pour un plagiaire. La gloire attachée au nom de l’inventeur de l’art ne lui appartient pas, soit : laissons-lui du moins le mérite d’avoir pratiqué le premier cet art dans son pays, en n’empruntant à l’Italie que le secret des moyens matériels. Les planches de Martin Schoen se recommandent d’ailleurs par une certaine hardiesse de travail, le burin y est vif et net ; malheureusement la laideur des types, le goût plus qu’étrange des ajustemens donnent à l’ensemble un aspect désagréable, et ne justifient pas le surnom de beau Martin dont quelques iconophiles ont gratifié l’auteur du Saint Antoine tourmenté par les démons, du Portement de croix, et de plusieurs autres compositions non moins bizarres.


II. – ÉCOLE ALLEMANDE. – ALBERT DÜRER : La Mélancolie, Saint-Jérôme en méditation, Saint Hubert.

Martin Schoen eut bientôt des imitateurs et des émules à Munich, à Mekenen en Westphalie, à Nuremberg, où le plus célèbre des artistes allemands de l’époque, Michel Wolgemuth, enseignait l’art de graver et de peindre au jeune Albert Dürer. Ce dernier, fils d’un orfèvre de la ville, avait, ainsi qu’il nous l’apprend lui-même, quitté, dès l’âge de quinze ans, la boutique de son père pour l’atelier de Wolgemuth, non qu’il voulût se soustraire à l’autorité paternelle, mais afin de hâter le moment où il pourrait subvenir aux besoins de sa famille. « Mon père, dit Albert Dürer dans des notes qu’on a recueillies, n’avait pour lui, pour sa femme, pour ses enfans, que le plus strict nécessaire, un pain dur et noir, arrosé de sueur et gagné à la main. Ajoutez à cela toute sorte de tribulations et des adversités de tout genre. Mais cétait un vrai chrétien celui-la, paisible et doux, et soumis à la Providence, bon et modeste avec tous, qui est mort en regardant le ciel, qui est dans le ciel à présent. Toute sa vie a été uniforme et grave, entrecoupée de peu de joies mondaines, solennelle et silencieuse… Ce cher père avait eu grande attention, en son ame et conscience, d’élever ses enfans à la gloire et dans la crainte de Dieu ; car c’était là sa plus grande ambition : bien élever sa famille. Voilà pourquoi il nous exhortait chaque jour à l’amour de Dieu et du prochain ; après quoi, il nous apprenait à aimer ce qui est beau ; l’art était notre seconde adoration… Je me sentis à la fin plutôt un artiste qu’un orfèvre, et je priai mon père de me permettre de peindre et de graver. Lui, d’abord, fut mécontent de ma demande. Toutefois, après quelques refus, il céda, et le jour de