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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/1133

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Les ermites et les moines des vieux âges chrétiens, en s’éloignant des hommes pour se rapprocher du Dieu, en s’isolant dans les sables de la Thébaïde ou les vieilles forêts de la Gaule, se trouvaient perdus, comme les hommes primitifs dans la jeunesse du monde, au milieu des hôtes de la solitude. La nature étalait sous leurs yeux ses beautés éternelles, et ils en subissaient l’impression profonde. Les chevreuils et les cerfs bondissaient autour d’eux, sous les ombrages des bois celtiques. Les rugissemens des lions se mêlaient dans les déserts aux accens de leurs prières, et les voix mystérieuses de la création semblaient s’unir à leur voix pour célébrer les louanges de son auteur. En portant pour la première fois la hache au sein des forêts inaccessibles, ils assuraient l’empire de l’homme dans des lieux où les bêtes fauves avaient jusqu’alors régné sans partage. Les races paisibles et douces vivaient sans crainte auprès d’eux, parce que l’église leur avait appris à respecter la vie de tous les êtres ; seuls, parmi les populations barbares qui les entouraient, ils ne se livraient point au plaisir cruel de la destruction, et, par leur charité qui s’étendait jusqu’aux bêtes, ils semblaient réaliser une fois encore les miracles de l’âge d’or. L’imagination des peuples fut vivement frappée de leur vie solitaire et sereine, de leur douceur, de leurs conquêtes sur la nature encore sauvage ; elle les investit d’une autorité souveraine sur les animaux au milieu desquels ils vivaient, en donnant en même temps à ces animaux le sentiment de la soumission pour leurs personnes et du respect pour leurs vertus.

Les légendes de l’église d’Orient constatent ce premier travail de l’imagination populaire. Dans ces légendes, où brille du plus vif éclat la poésie du génie grec, le lion, le corbeau, l’onagre, la hyène, le crocodile, retrouvent la douceur du paradis terrestre. Les solitaires leur parlent, et les animaux les comprennent ; ils leur reprochent des actions blâmables, et les animaux se corrigent. Il semble que les révélations de la conscience aient touché jusqu’aux monstres des déserts et qu’ils aient appris à discerner le mal et le bien.

Un jour que saint Macaire d’Alexandrie était assis à l’entrée de sa cellule, et qu’il s’entretenait avec Dieu, une hyène vint frapper de la tête contre sa porte, en tenant dans sa gueule son petit qui était aveugle. Le saint, devinant le motif de cette visite, étendit les mains sur le jeune animal et lui rendit la vue. La mère, après avoir témoigné sa reconnaissance par les mouvemens les plus expressifs, allaita son faon et l’emporta dans le désert. Le lendemain, à la même heure, le saint entendit encore frapper à sa porte et de la même manière que la veille ; c’était la hyène qui cette fois apportait une grande peau de brebis qu’elle déposa aux pieds du solitaire, en exprimant par son attitude qu’elle le priait d’accepter cette peau à