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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/1197

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opéras-comiques, ou des morceaux en français mis en musique par des compositeurs indigènes. Malgré ces emprunts, les cercles chantans de la Provence conservent, l’originalité de leur caractère, grâce au goût musical particulier à leur pays, et grâce au vif sentiment du plaisir qui s’y trouve associé.

Cet amour pour les divertissemens a pénétré jusque dans les habitudes religieuses, profondément enracinées d’ailleurs parmi les masses. Non-seulement on recherche l’exagération des formes extérieures, on mêle encore aux manifestations pieuses des réjouissances toutes profanes. La fête de Noël, par exemple, célébrée en Provence avec une remarquable ferveur, n’en est pas moins un signal de plaisir. La veille au soir, dans les villes comme dans les hameaux, les membres épars de chaque famille ont l’habitude de se rassembler autour de leur chef et de passer à se divertir la moitié de la nuit. On commence la soirée par une cérémonie traditionnelle nommée la bénédiction du feu. Le plus jeune des enfans prend un rameau de laurier qu’il trempe dans du vin, et, après avoir fait le signe de la croix, il asperge le foyer embrasé de manière à en amortir la flamme. Peut-être y a-t-il dans cet usage une mystérieuse allusion au cœur de l’homme où il faut aussi, tout en conservant l’ardeur qui féconde la vie morale, tâcher d’amortir le feu des passions sensuelles[1]. Les pèlerinages à diverses chapelles, renommées par les grâces qu’on y obtient, offrent également un double caractère. On assiste à la messe, on fait brûler des bougies autour d’une image vénérée, on suspend des ex-voto aux murailles du temple ; puis, quand on se croit quitte avec le ciel, on consacre au plaisir le reste de la journée. Le pèlerinage se transforme en romérage.

La naïveté provençale semble se complaire en outre à prêter à des idées sérieuses les expressions les plus burlesques. Les cérémonies qui accompagnent la fête de saint Éloi en sont un exemple. Le saint orfèvre du VIe siècle, sous le patronage duquel sont placées dans le nord de la France certaines sociétés d’ouvriers en métaux, est dans le pays d’Aix, on ne sait pourquoi, le patron des rouliers et des palefreniers, et, par une extension abusive celui des chevaux, des mulets et des ânes. Quand arrive sa fête, on amène dès le matin ces animaux en grand appareil sur le parvis des églises. Après la messe, un prêtre se présente sous le porche du temple, un goupillon à la main, et il bénit à la fois les animaux et leurs maîtres. Certes il y a une idée que la religion admet, que mille traditions du moyen âge avaient consacrée, dans cette bénédiction des instrumens animés mis

  1. La nuit du 24 décembre est une des occasions où se font entendre sous le toit familier des chants dans l’idiome populaire ; il existe de nombreux noëls en patois.