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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/1198

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par Dieu même au service de l’homme pour l’aider dans son travail ; mais l’attitude des cortèges donne toujours à la cérémonie un aspect risible. Toutes les scènes bouffonnes et un peu excentriques s’accordent avec les inclinations provençales. Ce côté des mœurs des familles s’épanouit avec une liberté particulière dans les petites maisons de campagne appelées cabanons ou bastides, situées autour des villes, et que la population ouvrière affectionne passionnément. Chaque dimanche, on s’y rend en compagnie plus ou moins nombreuse. Des chansons ont pour objet de célébrer le cabanon, l’air qu’on y respire, les divertissemens qu’on y trouve. Le temps s’y passe à peu près comme dans les mazets des Garrigues, autour de Nîmes.

Ces traits communs à toutes les populations provençales laissent encore place dans chaque groupe industriel à quelques lignes particulières qui nuancent plus ou moins fortement la vie locale. À Avignon, les ouvriers des fabriques de garance, ceux des fabriques d’huile à Aix, ceux qui triturent les graines oléagineuses à Marseille, forment de petites colonies qui conservent tout à fait intacte leur physionomie originelle. Instrumens passifs d’industries très monotones, ils se résignent, sans songer à s’en plaindre, au rôle qu’ils ont temporairement accepté : mais le travail des champs reste leur occupation préférée. On voit même souvent, parmi les ouvriers de la garance, ceux qui sont du pays prendre à ferme une pièce de terre et prélever sur les courts instans de leur repos le temps de la cultiver. À la fin de la campagne industrielle, les travailleurs descendus des montagnes regagnent avec une joie indicible leur village, à peine débarrassé des neiges. Dans cet élan qui les ramène vers leurs cimes natales se résume à peu près toute l’activité de leur esprit. Il s’y mêle pourtant une autre pensée très ardente chez eux, c’est l’ambition de posséder un jour un lambeau de cette terre si tristement engourdie durant l’hiver, mais si resplendissante sous les rayons du soleil d’été. Ce désir que l’avenir trompera peut-être est fréquemment la cause de leur expatriation. Quelquefois aussi ces exilés volontaires, fidèles aux traditions de la famille, se proposent de venir en aide à des parens chargés d’enfans et malheureux. Accoutumés depuis leur naissance à se contenter de peu, ils ne s’amollissent point au sein des villes, et ils restent généralement sobres et économes. Certains chefs d’établissement, à Aix, par exemple, sont dans l’usage de distribuer aux ouvriers, à la fin de la saison, une indemnité extraordinaire qu’on appelle étrennes, parce qu’elle arrive vers le premier jour de l’an. On consacre habituellement cette somme à un banquet ; mais chacun est libre de retirer son argent, et les ouvriers pères de famille s’abstiennent de la fête. On devine bien que