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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/1241

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vieille école florentine une sorte de Port-Royal de la peinture italienne. Rigide fondateur de la secte, Cimabue n’en est-il pas à quelques égards le Saint-Cyran ? Par l’importance de son rôle et son attitude de chef, Sotto mérite, comme Arnauld, d’être reconnu grand entre les hommes d’élite qui l’entourent. L’élan d’Orgagna, et ce qu’il garde d’irrégulier et de personnel sous la discipline, ont quelque analogie avec l’emportement de piété et la soumission fougueuse d’Antoine Lemaistre. Enfin, parmi les personnages secondaires, il n’est pas jusqu’au modeste Fontaine dont on ne puisse retrouver le type dans Cennino Cennini. Par un sentiment de vénération pour la gloire de ceux qui furent leurs maîtres, ces deux humbles disciples ne songent, en prenant la plume, qu’à propager les enseignemens qu’ils ont reçus, et si, en écrivant ses Mémoires, Fontaine s’attendrit au souvenir des vertus et des talens d’Arnauld et de Sacy, il y a aussi quelque chose de touchant dans le respect avec lequel Cennini dédie son livre « à la mémoire de Giotto, le meilleur peintre qui fut jamais, — à celle de Taddeo, qui eut l’honneur d’être son filleul et son élève, — à la mémoire d’Agnolo de Florence, digne des leçons de ces grands artistes. »

À l’époque où Cennini s’efforçait ainsi de conserver intact le dépôt qui lui avait été confié, quelques jeunes peintres essayaient de se créer d’autres règles, ou plutôt ils n’acceptaient les règles anciennes qu’à condition d’en assouplir et d’en développer le sens. Dans les travaux de ces nouveaux maîtres, l’art religieux n’avait plus pour élément unique la majesté des intentions et du style, quelque chose de tendre et d’ému commençait à se substituer à l’austérité inflexible des Giotteschi, et sans perdre leur élévation accoutumée, les productions de l’école florentine respiraient une sorte de grâce sévère et une délicate simplicité. Au commencement du XVe siècle, le progrès était manifeste dans tous les arts. Déjà, sous le ciseau de Ghiberti et de Donatello, naissaient quelques-uns des chefs-d’œuvre qui ont immortalisé le sculpteur des portes du Baptistère et le sculpteur du Zuccone et de Saint-George. Brunnelleschi, étudiant à Rome le monumens antiques, préparait avec une application opiniâtre la régénération de l’architecture, et trouvait dans l’entêtement de son génie le secret de complétée l’entreprise d’Arnolfo di Lapo, entreprise dont l’achèvement avait été jugée impossible, et que couronna pourtant le dôme prodigieux de la cathédrale de Florence. Masolino da Panicale peignait dans l’église del Carmine ces fresques que l’on admire encore même à côté des fresques de Masaccio et de Filippino Lippi. Peintre bizarre, mais profondément savant, Paolo Ucello, en exécutant ses tableaux monochromes, enrichissait l’art d’une découverte nouvelle et précisait les règles de la perspective, tandis que le moine camaldile Lorenzo cherchait au fond de son couvent de Santa-Maria-degli-Angeli à ajouter les finesses du coloris à la fermeté du dessin.

Cependant les œuvres d’un autre religieux commençaient à émouvoir Florence plus qu’aucune de celles qui s’étaient produites à cette époque. Le suave talent de fra Angelico venait de se révéler dans des morceaux empreints d’un sentiment pathétique tout nouveau, d’une incomparable délicatesse : au moment où s’ouvrait pour l’art florentin une seconde ère de progrès et d’éclat, le nom d’aucun peintre ne semblait promis à la gloire plus sûrement que celui du jeune dominicain. C’est, qu’en effet ce nom résume et