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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/1242

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personnifie mieux que tout autre les tendances et le mouvement de l’école après les derniers efforts de résistance des Giotteschi, avant les premiers succès de la révolution encouragée par les Médicis. Tel est le rôle du maître dont le père Marchese nous a raconté les travaux. Nous connaissons maintenant le milieu où s’est produit fra Angelico : c’est sa vie même qu’il faut interroger.


II

Fra Angelico da Fiesole, ou plutôt Giovanni Guido, était né en 1387 à Vicchio, petit village du Mugello, situé à vingt milles de Florence et voisin du hameau où Giotto avait vu le jour cent onze ans auparavant[1].

Le père de Giovanni était laboureur, et peut-être, comme le berger de Vespignano, l’enfant de Vicchio se livra-t-il d’abord à quelques obscurs essais d’imitation, tandis que paissaient les chèvres confiées à sa garde. Qui fut pour lui un autre Cimabue ? C’est ce qu’on ignore et ce qu’il est même impossible de conjecturer ; mais ne serait-on pas autorisé à dire que l’aspect du pays où s’écoula l’enfance des deux grands peintres eut sur le caractère de leur talent une action positive, bien que d’espèce fort dissemblable ? Les lignes robustes, reflet imposant des montagnes du Mugello, auront laissé dans l’âme de Giotto, accessible surtout au sentiment de la majesté divine, des images éternelles de grandeur et de force, tandis que, plus portée à adorer Dieu dans sa mansuétude qu’à l’envisager dans sa colère, l’imagination de Giovanni s’est pénétrée de la poésie plus douce que respire aussi cette nature. Dans ces belles vallées de l’Apennin qu’habitent à la fois les aigles et les cygnes, où l’un n’avait contemplé que cimes altières et vastes solitudes, l’autre devait se plaire aux lieux fleuris et abrités ; mais, diversement sollicités par l’idéal, tous deux reçurent au sein de la même contrée des impressions qui ne s’effacèrent plus.

Cette influence des souvenirs est surtout sensible dans les ouvrages que Giovanni produisit à Florence au commencement de sa carrière. Ce fut en ornant de miniatures des livres de chœur et des missels, qu’il annonça d’abord l’onction de sa pensée, et la finesse exquise de son talent. On sait l’extension qu’avait prise en Italie, antérieurement au XVe siècle, l’art de la peinture sur vélin, art d’origine allemande, dit-on, ou peut-être française, comme celui de la peinture sur verre. Les Oderigi da Gubbio, les Franco Bolognese, dont parle Dante, s’y étaient autrefois distingués, et depuis lors nombre de

  1. Les rares biographes de fra Angelico, et Vasari entre autres, se méprenant sur le sens de l’addition à son nom de ces deux mots da Fiesole, y ont vu une indication suffisante du lieu de naissance du peintre. Le père Marchese fait justice de cette erreur en publiant pour la première fois une pièce tirée des chroniques manuscrites du couvent de San Domenico à Fiesole, couvent où Giovanni reçut l’habit et où il passa une grande partie de sa vie. Cette pièce porte expressément, avec la date de la vêture : Iohannes, Pétri de Mugello, natus iuxtà Vicchium, etc. Les mots da Fiesole ne doivent donc rappeler que le long séjour fait par l’artiste dans le monastère construit au pied de la ville. Quant au surnom d’Angelico, qui caractérise à la fois le génie et les vertus de fra Giovanni, « il lui fut imposé, dit le père Marchese, par la vénération des peuples. » Reste à savoir s’il faut entendre ici par « peuples » les contemporains ou la postérité.