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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/125

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garo et par suite l’aberration d’un pouvoir qui tolérait des attaques dont les résultats seuls nous ont appris la portée. Nous jugeons aujourd’hui l’ouvrage de Beaumarchais d’après les événemens qui l’ont suivi, et nous sommes trop enclins à forcer, soit pour l’éloge, soit pour le blâme, la signification de cette comédie. En entreprenant d’embrasser dans une seule pièce de théâtre la critique de divers abus et de diverses conditions sociales que bien d’autres auteurs avant lui, depuis Molière jusqu’à Lesage, avaient déjà attaqués séparément, en conduisant cette attaque avec la vivacité audacieuse et même licencieuse qui caractérise son talent, Beaumarchais était loin de s’imaginer qu’il concourait à préparer un bouleversement général, et que la société était arrivée à un tel degré de faiblesse qu’une comédie assez peu saine à la vérité, mais ayant comme toutes les comédies la prétention de guérir, deviendrait un mal de plus qui contribuerait à emporter le malade.

Ce qu’on sait déjà de Beaumarchais prouve surabondamment, avec ce qu’on en lira plus tard, qu’il n’était pas un révolutionnaire bien farouche, et que les quatre ou cinq premiers articles par lesquels débute invariablement aujourd’hui toute constitution, même la plus mince, auraient suffi à satisfaire son tempérament politique. Disposé à fronder des vanités, des privilèges et des abus dont il avait souffert plus d’une fois, il n’était rien moins que disposé à pousser les choses à outrance, et à voir avec enthousiasme une commotion sociale qui allait bientôt le dépasser, le renverser et le ruiner au moment même où il touchait à l’âge du repos, et n’aspirait plus qu’à jouir en paix d’une opulence si laborieusement acquise. L’auteur du Mariage de Figaro écrivit donc sa comédie avec des sentimens beaucoup moins subversifs que ne le supposent généralement ceux qui ignorent qu’il possédait à cette époque une fortune de plusieurs millions ; il l’écrivit les yeux fermés sur l’avenir, ne songeant qu’au plaisir présent de savourer un nouveau succès dramatique, de se venger des humiliations ou des injustices dont son esprit ni ses richesses n’avaient pu le garantir, de continuer avec plus de hardiesse la mission de Molière, de faire rire les petits aux dépens des grands, et d’amuser les grands eux-mêmes en intéressant leur amour-propre à ne pas se reconnaître dans un tableau un peu chargé des abus de la grandeur.

La société de son côté, c’est-à-dire la tête de la société, que Beaumarchais attaquait, n’avait pas plus que lui conscience du danger de ses attaques. Un estimable écrivain de nos jours, après avoir rappelé ce mot si connu de Beaumarchais : « Il y a quelque chose de plus fou que ma pièce, c’est son succès, » s’exprime ainsi : « Nous pouvons ajouter qu’il y a encore quelque chose de plus fou que ce