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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/127

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conséquent à une diminution de l’autorité royale ; mais c’est une affaire de temps, et cela marchera d’autant plus lentement que les intérêts des hommes puissans mettront des bâtons dans les roues. » On ne peut pas à coup sûr prophétiser plus complètement au rebours du vrai. Il n’y a donc point lieu de s’étonner qu’en 1783 et 1784 la société officielle n’ait pas cru commettre un suicide en se livrant avec complaisance aux traits meurtriers que lui lançait Figaro. Il faut rabattre aussi un peu de la surprise qu’inspire l’audace de Beaumarchais imposant de force la représentation de sa comédie malgré toutes les autorités ; on verra plus loin quelle quantité d’associés et même d’autorités, à commencer par cinq censeurs sur six, vinrent d’eux-mêmes, une fois la curiosité éveillée dans un monde qui voulait s’amuser à tout prix, prêter main-forte à l’auteur de la Folle Journée et l’aider à se produire sur la scène. Cependant il faut dire aussi que Beaumarchais rencontra un obstacle qui, en d’autres temps ou pour un autre homme, eût été insurmontable. Dès le commencement de 1782, il y avait une autorité qui avait décidé que le Mariage de Figaro ne serait jamais joué, et cette autorité, c’était le roi. Les souverains, même quand ils ne sont pas doués d’un génie transcendant, doivent quelquefois à la hauteur de leur situation la faculté de voir plus loin que les autres hommes ; ils ont d’ailleurs un intérêt trop immédiat à la conservation du pouvoir déposé dans leurs mains, pour ne pas s’inquiéter plus aisément de ce qui semble devoir y porter atteinte. Il était incontestable que les hardiesses de Figaro contre les courtisans, les lettres de cachet, la diplomatie, la censure, etc., traînaient déjà depuis vingt-cinq ans dans les livres les plus goûtés du public ; mais c’était la première fois qu’elles prétendaient forcer en masse l’entrée d’un théâtre et se produire sous une forme vive, légère, acérée, qui devait les faire pénétrer chaque soir comme autant de flèches dans l’esprit d’un auditoire incessamment renouvelé. Il y avait là un danger au sujet duquel Louis XVI était déjà prévenu par le garde des sceaux, M. de Miromesnil, très prononcé contre la pièce ; mais d’un autre côté, comme il était dès lors poursuivi de sollicitations en faveur de cette comédie, il voulut juger la question par lui-même et se fit apporter le manuscrit.

Mme Campan nous a conservé dans ses Mémoires le tableau de cette scène où Louis XVI, seul avec Marie-Antoinette, se fait lire le Mariage de Figaro. Après le fameux monologue du cinquième acte, le roi s’écrie : « C’est détestable ; cela ne sera jamais joué. Il faudrait détruire la Bastille pour que la représentation de cette pièce ne fût pas une inconséquence dangereuse. Cet homme se joue de tout ce qu’il faut respecter dans un gouvernement. — On ne la jouera donc point ? dit la reine, dont le ton semble indiquer un certain penchant