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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/159

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marchais se serait écrié dans la salle même des Menus-Plaisirs : « Eh bien ! messieurs, il ne veut pas qu’on la représente ici, et j’espère, moi, qu’elle sera jouée peut-être dans le chœur même de Notre-Dame. » L’auteur du Mariage de Figaro avait, je le crois, trop d’esprit et d’habileté pour proférer publiquement une bêtise grossière qui l’aurait empêché à tout jamais d’atteindre son but, quand il était sûr d’y arriver en continuant le système jusque-là adopté.

Comment le roi fut-il déterminé à interdire ainsi au dernier moment une représentation qu’il ne pouvait pas ignorer, puisqu’elle avait été préparée par les personnes même qui l’entouraient ? Tout ce que nous trouvons à ce sujet dans les papiers de Beaumarchais se borne au passage suivant de la lettre inédite à M. de Breteuil : « Je ne sais vraiment quelle intrigue de cour sollicita et obtint la défense expresse du roi de jouer la pièce aux Menus-Plaisirs, ou plutôt, si je le sais, je crois inutile de le dire à qui le sait beaucoup mieux que moi[1]. Je remis encore une fois patiemment la pièce en portefeuille, attendant qu’un autre événement l’en tirât. » En effet, il s’en présenta bientôt un autre, et cette comédie dont le roi venait de défendre la représentation fut jouée avec sa permission devant toute la cour et le comte d’Artois à la maison de campagne du comte de Vaudreuil.

Les contemporains sont quelquefois bien mal informés, ou le temps altère considérablement leurs souvenirs. Voici par exemple Mme Lebrun qui a assisté à cette représentation de Gennevilliers et qui nous dit dans ses Mémoires : « Il fallait que Beaumarchais eût cruellement harcelé M. de Vaudreuil pour parvenir à faire jouer sur ce théâtre une pièce aussi inconvenante sous tous les rapports. » On va juger lequel avait été harcelé, de M. de Vaudreuil ou de Beaumarchais. Ce dernier, après le désagrément du contre-ordre donné si tard aux Menus-Plaisirs, était allé en Angleterre pour des affaires de commerce, lorsque se présente chez lui, à Paris, ce même duc de Fronsac auquel il a déjà plusieurs fois fermé sa porte, et qui, ne le trouvant pas, lui laisse la lettre suivante :


« À Paris, ce 4 septembre 1783.

« J’espère, monsieur, que vous ne trouverez pas mauvais que je me sois chargé d’obtenir votre agrément pour que le Mariage de Figaro soit joué à Gennevilliers ; mais il est vrai que quand j’ai pris cette commission, je vous croyais encore à Paris. Voici le fait. Vous saurez que j’ai cédé pour quelques années ma plaine et ma maison de Gennevilliers à M. de Vaudreuil. M. le comte

  1. Dans une lettre au marquis de Thibouville, au sujet de cet incident, Beaumarchais écrit : « Nous sommes occupés à chercher quel est le Galiléen qui nous a vaincus ce jour-là. En attendant cette rare découverte, qui ne regarde point du tout M. le maréchal de Duras (car il n’a point dédaigné d’en donner sa parole d’honneur), je garde le silence devant un ordre du roi, comme cela est juste. »