Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Singulier climat que celui du Mexique ! Ce point n’offre plus rien de tropical que sa végétation. Partout on voit de l’eau, de la verdure. Le brouillard, que nous ne connaissions plus depuis deux mois, flotte sur les collines. Le pays semble humide; il y a de la mousse sur les murs, et une pluie fine, une pluie de France ou d’Angleterre, commence à tomber.

M. Saunier a établi ici un moulin à eau qui moud le grain de toute cette partie du Mexique. Les grands établissemens de ce genre que l’on construit aujourd’hui sont de véritables usines et ne ressemblent en rien à cette frêle maisonnette sur le bord d’un ruisseau, parmi les saules, près de laquelle tournent les aubes noires d’une roue revêtue de mousse où pendent les longues herbes du ruisseau. La petite chute d’eau, les prés qui l’entourent, les canards qui se baignent au-dessous, ont une poésie que les peintres hollandais ou M. Decamps savent rendre admirablement, et qu’on ne trouve pas dans les moulins-usines mus par la vapeur, comme ceux de Saint-Maur par exemple, ou même par un cours d’eau comme celui de M. Saunier à Orizaba. Son moulin-usine est une grande maison très proprement tenue, dans laquelle huit meules réduisent en farine tous les jours, pendant les douze heures de travail, quarante-huit charges de blé pesant trois cent soixante livres chacune et représentant une valeur de 1,600 piastres. Tout cela n’est pas si pittoresque que le moulin à eau des paysagistes; mais la grande roue qui met la meule en mouvement est une roue à auget qui utilise la soixante-dixième partie de la force fournie par la chute, et la roue pittoresque n’en utilise que la cinquantième partie. J’ai dit à M. Saunier que ces meules venaient de La Ferté-sous-Jouarre, et il s’est trouvé que j’avais raison. C’est qu’habitué à aller tous les ans à la campagne près de cette ville[1], je savais que la pierre meulière de La Ferté-sous-Jouarre est employée dans toutes les parties du monde.

Nous rencontrons ici une triste preuve de la férocité accidentelle des brigands mexicains. Assez débonnaires en général, ils ne le sont cependant pas toujours. M. Nieto, jeune naturaliste établi à Orizaba où il a formé une très belle collection d’insectes, se trouvait dans une diligence qui fut arrêtée. Personne ne fit résistance, et il descendit de voiture comme les autres sur l’injonction des voleurs. Deux de ses compagnons de route avaient mis pied à terre sans encombre, quand un des bandits, par un caprice homicide que rien ne provoquait, lui tira un coup de pistolet à bout portant. La balle est encore

  1. Qu’on me pardonne de mentionner ce petit fait, mais je ne puis me défendre d’exprimer la joie que j’ai ressentie en trouvant au Mexique un souvenir qui m’est toujours bien cher, et que, depuis que ces ligues ont été écrites, la perte d’un ami, d’Adrien de Jussieu, m’a rendu bien douloureux.