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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/224

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dans la poitrine de M. Nieto, et, bien qu’il ait guéri de la blessure, il a toujours grand’peine à respirer et à parler. Ces voleurs ont donc leurs fantaisies de cruauté. L’un d’eux, condamné à mort, disait : « Me gustaba sobre todo arrancar las tripas; mon plus grand plaisir était d’arracher les entrailles. » C’était peut-être le descendant de quelque prêtre aztèque qui avait conservé les instincts du sacrificateur-bourreau. J’espère que celui-là au moins aura été exécuté; cependant je n’en voudrais pas jurer.


3 avril.

J’ai vu aujourd’hui le paysage qui m’a le plus frappé au Mexique et peut-être dans tous mes voyages : c’est un point de vue ravissant qui est près d’Orizaba et s’appelle Rincon-Grande. Nous y sommes arrivés en traversant de grandes prairies où paissaient des vaches, et qui ressemblaient assez à un pâturage de la Normandie. Notre surprise n’en a été que plus vive quand, au bout de cette plaine qui pourrait se trouver partout en Europe, nous avons découvert à nos pieds un ravin rempli de la plus luxuriante végétation, et au fond de ce ravin une cascade à laquelle on ne peut comparer aucune cascade européenne, parce que c’est une cascade des tropiques. La chute d’eau apparaît parmi des lianes, de grands roseaux, des touffes de bananiers dont on voit d’en haut les panaches étoiles. Tout autour sont de beaux arbres dont le feuillage offre toutes les nuances, depuis le brun et l’orange jusqu’au vert le plus tendre. Des fleurs rouges courent à travers les rameaux; c’est ravissant et éblouissant.

Quand on est descendu dans cette catacombe de verdure, on peut suivre à droite ou à gauche l’eau qui bouillonne à l’endroit de la chute, et qui, à vingt pas au-dessus et au-dessous, glisse calme et verte sous un fourré de grands arbres. Entre leurs troncs croissent à profusion des fougères gigantesques au feuillage délicat, et une foule de plantes dont quelques-unes me sont connues, mais qui offrent ici des proportions inaccoutumées. Les troncs eux-mêmes et les rameaux des arbres sont couverts d’orchidées parasites qui viennent là par touffes comme le gui sur les chênes, et dont les fleurs présentent ces formes d’une élégance bizarre qu’on dirait un caprice magnifique de la végétation.

Assis sur une petite hauteur, je contemple à mes pieds les cimes fleuries des arbres à travers lesquelles monte vers moi le bruissement de la cascade. Un brouillard léger flotte sur la montagne, et sa présence rend plus singulière encore cette flore méridionale. La température est chaude, et l’aspect du pays environnant donne un sentiment de fraîcheur. Cet ensemble extraordinaire est à la fois tropical et tempéré; c’est comme une Suisse mexicaine.