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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/305

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Est-il urgent d’opposer une concurrence nouvelle à la spéculation envahissante des Américains?

L’industrie cotonnière est généralement en voie d’expansion. Depuis trois ans surtout, le progrès est moins un développement naturel d’affaires qu’une fièvre de croissance. Les anciens pays producteurs agrandissent leurs ateliers et en ouvrent de nouveaux. Beaucoup de peuples qui achetaient les tissus à leur usage se font un point d’honneur de les fabriquer. Que cette effervescence tienne à un sentiment de confiance dans l’avenir, à l’abondance des capitaux versés en Europe par la Californie et l’Australie, aux débouchés ouverts par le libre échange, ou bien, comme les pessimistes le supposent, à l’insuffisance des laines, dont le prix s’élève, le résultat n’en est pas moins significatif. C’est un des traits caractéristiques du moment que cet accroissement subit et universel dans la consommation d’une marchandise appropriée aux besoins des multitudes pauvres.

L’Angleterre marque naturellement le pas dans cette voie progressive. On y élargit les ateliers, on perfectionne le matériel, on fonde des établissemens nouveaux. Un inspecteur des manufactures a déclaré officiellement, en exposant les résultats de 1851, que dans le seul district dont Manchester est le principal foyer, 82 manufactures ont été construites ou agrandies, que les machines nouvelles ajoutent aux anciens moteurs une force de 3,717 chevaux, et qu’il a fallu recruter 14,000 ouvriers de plus. Des informations plus récentes encore nous apprennent qu’en 1852, les constructions appropriées au travail du coton se sont multipliées sur divers points, et que certains établissemens se sont développés dans des proportions tellement ambitieuses, que les esprits réservés commencent à s’en effrayer. En supputant l’énormité des capitaux qu’on engage et l’agglomération des ouvriers attirés par la hausse rapide des salaires, ils craignent qu’un chômage un peu prolongé ne devienne un désastre. En attendant, l’Angleterre se vante de mettre en mouvement 21 millions de broches, filant par jour une longueur suffisante pour entourer deux mille fois le globe terrestre. 220,000 métiers à tisser peuvent livrer journellement 5,500,000 mètres de cotonnades, c’est-à-dire environ 1,650 millions de mètres par an, dont elle exporte les trois quarts. Les cotons convertis en filés pour tissus, fils à coudre, lacets, bonneterie, figurent accessoirement dans ses envois à l’étranger pour plus de 200 millions de francs. Un excédant de matière première est devenu nécessaire pour alimenter les nouveaux établissemens; on l’évalue à 6 ou 8,000 balles[1] par semaine.

  1. On compte par balles dans le commerce, bien que le poids des balles ne soit pas uniforme. Il varie selon les pays et les qualités. Comme il y a tendance en Amérique à les faire de plus en plus fortes, nous prenons pour mesure moyenne 180 kilogrammes, en faisant remarquer que les balles de l’Egypte, du Brésil et du georgie-longue-soie sont beaucoup plus faibles.