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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/342

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pas l’exagération jusqu’au point de maudire le présent et l’avenir. Quoi donc! ce qui existe aujourd’hui n’a-t-il point été nouveau un jour, et n’est-il pas venu prendre la place de choses passées à leur tour ? La vie du genre humain n’est-elle pas une série de transformations continuelles ? Et l’histoire, qu’est-ce autre chose qu’une succession magnifique de tableaux où éclatent à chaque pas les nouveautés les plus surprenantes ?... » On peut conclure de là assurément que ce que voulait Balmès, ce n’était point la résurrection factice d’un ordre de choses évanoui, c’était une monarchie rajeunie, fortifiée au contact des élémens traditionnels du pays et compatible en même temps avec tous les développemens légitimes de l’existence moderne. Il y a dans la vie de Balmès, si dénuée d’événemens et si remplie par l’action intellectuelle, un incident d’un caractère presque officiel : c’est la part qu’il prit à l’affaire du mariage de la reine. D’après la tournure d’esprit du publiciste catalan, il est clair que l’idée d’un mariage de la reine Isabelle avec le fils de don Carlos ne lui était point venue comme une fantaisie dynastique, mais comme le couronnement de cette reconstruction politique qu’il méditait et qu’il poursuivait. Il n’y cherchait pas le triomphe déguisé d’une prétention évincée dans le combat, il y voyait le sceau de l’alliance des forces conservatrices de l’Espagne. Aussi attachait-il un prix singulier à ce projet. Lorsqu’en 1845 eut lieu ce qu’on nommait l’abdication de don Carlos, Balmès était loin d’être étranger à cet acte; il l’avait conseillé. C’est lui qui était l’inspirateur ou plutôt le rédacteur du manifeste conciliant adressé par le fils de don Carlos à la nation espagnole. Le titre de prince des Asturies disparaissait soigneusement devant le simple titre de comte de Montemolin, afin de désarmer les susceptibilités à Madrid. Si quelqu’un a servi la candidature du comte de Montemolin et lui a fait faire du chemin, c’est sûrement Balmès par ses vigoureuses polémiques. Pendant quelques mois de 1846, dans le Pensamiento de la Nacion, il la montrait sous toutes ses faces avec la plus remarquable énergie de conviction et de talent. Plus il y avait mis d’ardeur, plus la déception devait être vive pour lui en présence du résultat, et cela a valu de sa part à la France et à son gouvernement plus d’un jugement acerbe.

Il y a sept ans déjà que les faits ont prononcé. Les considérations en faveur du mariage de la reine Isabelle avec le comte de Montemolin étaient puissantes sans doute. Peut-être les raisons contraires étaient-elles plus puissantes encore, même au point de vue exclusivement espagnol. N’était-ce point en effet remettre en doute une question vidée ? Quelle eût été la situation respective des deux princes ? Eussent-ils régné à droit égal ? Ne risquait-on pas de placer au cœur même de la famille royale un germe permanent de guerre civile cette fois bien plus redoutable ? Sur ce point délicat, Balmès pouvait se tromper;