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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/369

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manifestation dédaigneuse ; on s’aperçoit du reste bientôt que ces âmes ardentes, en qui se révèlent certains instincts de la race espagnole, ont un réel besoin d’activité morale, activité qu’égare trop souvent la légèreté de leur nature.

À l’atelier, les ouvriers de Lodève ne manquent pas d’entrain, quand il faut terminer une besogne urgente ; ils ont de l’habileté ou plutôt une extrême agilité de mains dans la fabrication traditionnelle à laquelle ils sont attachés, mais ils ne sont pas comme en d’autres contrées, en Alsace par exemple, essentiellement opiniâtres au travail : ils n’y sont poussés que par le sentiment des nécessités présentes. Toute prévoyance est inconnue dans leur vie domestique. Les incertitudes du lendemain ne leur inspirent presque jamais la pensée de se préparer d’avance à y faire face. Les femmes ne savent pas tenir leur maison, et un désordre repoussant règne presque toujours dans le logis de l’ouvrier. Les filles employées dans les manufactures consacrent, comme à Nîmes, la plus grande partie de leur salaire à des articles de parure. Quant aux jeunes ouvriers, ils remplissent tous les dimanches les nombreux cafés et cabarets de la ville, et y dépensent parfois en quelques heures une grande partie du gain de la semaine. Durant les jours ouvrables, on fréquente assez peu ces établissemens ; les ouvriers ont l’habitude de se promener le soir par groupes sur le quai, appelé Chemin-Neuf, qui longe le torrent bruyant de la Lergue. Comme l’hiver ne dure que deux ou trois mois, il est assez facile pour eux de fuir leurs ruelles étroites et de passer en plein air leurs momens de loisir. Ils aiment d’ailleurs tous les divertissemens extérieurs et surtout les farandoles au son du fifre et du tambourin, danses nationales du Languedoc qui ont l’animation du fandango espagnol.

La population laborieuse de Lodève forme un noyau homogène d’autant plus serré qu’elle ne comprend aucun élément nomade. Si quelques familles sont venues du dehors, elles se sont implantées dans le sol. Les ouvriers du pays ne vont presque jamais travailler loin de la vallée où ils sont nés. Leurs habitudes sédentaires sont encore cimentées par des mariages précoces, qui, dès l’âge de vingt et un ou vingt-deux, ans, fixent pour jamais la destinée des individus. Quand les enfans, garçons ou filles, commencent à travailler, ils continuent généralement à vivre jusqu’à l’époque de leur mariage dans la maison de leurs parens, auxquels ils abandonnent à titre de pension une partie de leur gain, en demeurant maîtres absolus du reste. Comme les denrées alimentaires, la viande surtout, sont d’un prix élevé à Lodève, on est contraint, dès que la famille devient un peu nombreuse, de s’imposer de dures privations.

Sous le toit domestique, les mœurs sont assez régulières. On ne compte dans la ville qu’un petit nombre de naissances llégitimes ;