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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/39

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ce qu’elle n’avait jamais vu, c’était un gouvernement professant la théorie de la terreur, en faisant une institution et une arme légale pour assassiner de propos délibéré toute une partie du peuple soumis à sa domination. L’histoire parlait aussi de gouvernemens révolutionnaires, c’est-à-dire nés du triomphe de la force, mais travaillant aussitôt à corriger ce vice originel et à s’assimiler aux anciens gouvernemens; ce qui ne s’était jamais vu, c’était un gouvernement se proclamant lui-même révolutionnaire, se déclarant incompatible avec tous les pouvoirs existans, leur jetant à tous un défi, et se donnant la mission de perpétuer indéfiniment la tempête d’où lui-même était sorti.

Tel fut pourtant le programme des hommes que la défaite des girondins laissait maîtres de la France, programme qu’ils rédigèrent en décret solennel, et que la convention, décimée et muette, vota le 10 octobre. Entre le 31 mai et le 10 octobre, tant qu’il y avait eu sur un point quelconque du territoire une lutte plus ou moins énergique, une ombre de protestation, les vainqueurs avaient ajourné cette proclamation publique de leur système. La terreur et le gouvernement révolutionnaire existaient déjà de fait, ils n’avaient pas encore pris place au Bulletin des lois; le tribunal était en exercice, il n’osait pas encore s’affranchir d’un semblant de procédure; la guillotine se dressait quelquefois, elle ne fonctionnait pas tous les jours. Ce ne fut qu’après la prise de Lyon, après les premiers désastres des Vendéens que Robespierre et Saint-Just se crurent assez forts, assez sûrs du lendemain pour mettre pompeusement la terreur à l’ordre du jour.

De ce moment, l’histoire n’est plus qu’un nécrologe, et M. de Barante semble accomplir un devoir funèbre en continuant son récit. Il ne parle pourtant que des plus illustres condamnés, de ceux qui tombent les premiers dans ce massacre juridique; mais la liste en est longue. En entrant dans de touchans détails sur les dernières heures de leurs vies, c’est presque une consolation qu’il nous donne : ainsi qu’il le dit lui-même : « Le courage et la noble contenance des victimes relèvent l’honneur national souillé par les bourreaux. »

Ce qui étonne, ce qui confond dans cet affreux régime, ce n’e.st pas son atrocité seulement, c’est sa durée. Le sac d’une ville, quelque désespérée qu’ait été la défense, quelque féroces que soient les vainqueurs, ne se prolonge pas au-delà de quelques jours; les bras se lassent de frapper; la satiété, le dégoût, mettent fin au carnage : ici le carnage a duré dix mois, sans interruption, sans relâche, les bourreaux s’échauffant toujours à mesure que les têtes tombaient. Et vingt-cinq millions d’hommes ont assisté à ce spectacle, le cœur paralysé, les bras glacés par la peur. Paris, pendant ces dix mois, a vu chaque jour, aux mêmes heures, le fatal tombereau suivre les mêmes rues,