Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/594

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prêter à toutes les illusions; mais enfin, engagée la première pour elle-même, la Turquie a cherché à se sauver par elle-même, fût-ce au risque de déranger parfois les combinaisons de l’Europe; elle a formé des armées nombreuses, les plus considérables peut-être qu’elle ait eues depuis longues années. L’une de ces armées, sous les ordres d’Omer-Pacha, occupe la ligne du Danube. Une seconde armée de réserve se forme à Andrinople pour protéger la seconde ligne de défense des Balkans, rempart de Constantinople en Europe; un troisième corps, sous les ordres d’Abdi-Pacha, est en Asie. A ceci il faut joindre les forces navales, également augmentées. Qu’on écarte toutes les exagérations, la Turquie a sans doute aujourd’hui au moins deux cent mille hommes sous les armes pour sa défense, et il n’est point certain que pour le moment la Russie puisse disposer de beaucoup plus pour soutenir la lutte.

Par malheur, quelque importante qu’elle soit, ce n’est point la plus grosse question pour la Turquie de lever des hommes et des contingens; il faut les payer et les faire vivre, ce qui est l’unique moyen de les tenir disciplinés. Le gouvernement turc y a réussi jusqu’ici, et, chose singulière même, là où les armées turques se trouvent concentrées, elles exercent, dit-on, moins de vexations que les armées russes; mais combien de temps cela durera-t-il ? C’est le grand problème : aussi les finances sont-elles devenues une des plus sérieuses préoccupations du gouvernement ottoman. C’est l’explication de la rentrée au ministère de l’un des hommes d’état remarquables de la Turquie, de Safeti-Pacha, qui s’est déjà distingué par d’intelligentes opérations financières. A la rentrée de Safeti-Pacha se lie la pensée d’un emprunt à négocier en Europe, et même le ministre du commerce aurait quitté Constantinople pour se rendre en France et en Angleterre. Ainsi renaîtrait cette pensée d’un emprunt contracté en Europe, qui a si tristement avorté il y a quelque temps, et à laquelle la nécessité semble ramener les hommes d’état ottomans. Ce n’est pas seulement à titre d’expédient en vue d’une campagne que ce projet devrait être admis par le cabinet turc, c’est comme système politique, autant qu’emprunter puisse être un système. Nous n’avons point le dessein d’élever encore des hypothèses sur l’avenir de la Turquie; mais enfin il n’est point douteux que le plus sûr moyen de vivre pour elle, c’est de s’identifier le plus possible avec l’Europe, de se lier à elle par de nombreux et intimes rapports, de créer de ces solidarités d’intérêts souvent plus puissantes que les solidarités politiques et qui en sont le gage, C’est au même titre de pensée politique que les gouvernemens de l’Occident devraient aider à la réalisation du projet auquel revient le cabinet turc. Puisqu’on veut l’indépendance de l’empire ottoman, il faut bien que cette indépendance s’appuie. sur quelque chose; quand elle s’appuiera sur des intérêts nombreux qui auront leurs ramifications en Europe, elle sera indubitablement une réalité plus forte et moins problématique qu’elle ne l’est actuellement. Cela n’exclut pas l’intérêt politique, cela ne fait que le corroborer au contraire. C’est ainsi que cet emprunt est un des élémens de la crise qu’il s’agit de conjurer aujourd’hui, au moment où elle semble être arrivée à son degré le plus extrême.

L’intervention toute récente des représentans des quatre cours athées à Constantinople sera-t-elle plus heureuse que les précédentes tentatives de médiation ? Rien ne serait véritablement plus désirable que le succès de cet