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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/595

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effort nouveau à l’heure actuelle, où les armées de la Russie et de la Turquie, bien qu’étant en présence, ne se sont point encore vues de trop près. Que peut-il arriver en effet, une fois les hostilités sérieusement engagées ? Si la Russie est victorieuse, pense-t-on que le tsar, après avoir refusé jusqu’ici de modifier ses prétentions, consente à les modérer dans sa victoire ? Et alors, qu’on y réfléchisse bien, quelle sera la situation de l’Angleterre et de la France, qui ont jugé les conditions du cabinet de Saint-Pétersbourg incompatibles avec l’intégrité de l’empire ottoman, c’est-à-dire avec la sécurité de l’Europe ? Si ce sont les Turcs qui ont l’avantage dans une première campagne, si l’armée russe a des revers à supporter, pense-t-on qu’au point où en sont les choses, l’empereur Nicolas se résigne à une défaite ? La Russie peut n’avoir point en réalité, dans ce moment, plus d’hommes prêts au combat que la Turquie; mais sa force et son avantage, c’est qu’elle peut les renouveler, et il ne faut point demander sérieusement si, rejetée dans ses frontières, elle se tiendrait pour bien condamnée par un premier combat. De toutes façons ainsi une médiation est de nature à devenir plus difficile à mesure que les événemens se développeront. Difficile aujourd’hui, elle peut devenir impossible dans la suite par la force même des choses. Ce sont là des considérations qui ne doivent pas certainement trouver indifférentes l’Autriche et la Prusse, — l’Autriche, qui doit bien attacher quelque prix à ne point voir les bouches du Danube passer exclusivement entre les mains de la Russie, la Prusse, qui est la première intéressée sans nul doute à ce qu’il ne soit point touché à la carte politique de l’Europe. En présence d’un intérêt commun si évident et si pressant, comment se fait-il donc qu’on n’ait abouti à rien jusqu’ici ? C’est que chacun a eu ses vues, ses propositions, ses moyens d’arrangement; chacun a prétendu agir d’une manière distincte, et de cette différence d’action il est résulté une absence à peu près complète d’action efficace. L’Autriche et la Prusse, mues par des raisons propres, se sont tenues dans une réserve toute spéciale. L’Angleterre elle-même a quelquefois peut-être refusé de suivre la France, soit par des considérations intérieures, soit afin de ne pas trop se détacher de la Prusse et de l’Autriche et de conserver au moins l’apparence de l’union entre les quatre grands états de l’Occident : chose utile sans doute, mais à une condition, c’est que cette union se manifeste d’une manière active et décisive. Or voici incontestablement l’heure où cette action commune doit s’exercer avec autorité. Faut-il croire que l’Angleterre et la France, comme on l’a dit, ont réussi à trouver un moyen acceptable pour la Russie et pour la Turquie ? Faut-il croire que la Prusse a mené à bonne fin la pensée d’une médiation nouvelle ?

Le rôle de la Prusse d’ailleurs, dans ces derniers temps, n’est point sans offrir quelques particularités curieuses. Au moment où s’ouvrait la conférence d’Ollmütz, il s’était formé deux partis, à ce qu’il paraît, à la cour de Berlin : l’un, composé de la reine, du général de Gerlach, considéré comme le chef du parti féodal, et de plusieurs autres personnes influentes, poussait le roi à faire le voyage d’Ollmütz, où il avait été très pressé de se rendre par l’empereur Nicolas; l’autre, à la tête duquel se trouvait M. de Manteuffel, était formellement opposé à ce voyage. Or le roi de Prusse a une considération singulière pour son président du conseil. Qu’en résultait-il ? C’est que, par