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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/659

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d’élite ; puis, prévoyant qu’il y aura parmi ses lecteurs plus d’une intelligence paresseuse ou rétive, il vient au secours de cette foule qui voudrait bien savoir, mais qui se laisse décourager par les formes sévères de la science. Il tend la main à la faiblesse et il l’élève jusqu’à lui. Son langage, qui tout à l’heure semblait presque impérieux, tant il s’appliquait à dédaigner tout ornement, attire et séduit peu à peu les esprits les moins empressés à recueillir la vérité. La pensée, qui d’abord s’offrait au lecteur avec fierté, se donnant pour ce qu’elle vaut et voulant être acceptée pour elle-même, s’humanise et se résigne à tous les artifices d’un orateur résolu à sauver son client. Il s’agit ici de rendre la philosophie attrayante sans rien enlever à la solidité de l’enseignement.

L’homme ne saurait se contenter de la perception du beau ; pour peu qu’il soit doué d’une imagination vive, il éprouve le besoin de le reproduire : il sort du domaine de la psychologie pour entrer dans le domaine de l’art. À quelle condition peut-il tenter de reproduire le beau ? Ici se présente une question souvent agitée et encore mal comprise, non-seulement par la foule, mais souvent même par ceux qui veulent se livrer à la pratique de l’art. La reproduction du beau doit-elle et peut-elle être une imitation littérale de la réalité ? Il suffit de bien peser tous les termes de la question ainsi formulée pour en trouver la solution précise. Le devoir de l’art ne saurait dépasser sa puissance. Si l’art ne peut atteindre à l’imitation littérale, à la reproduction complète de la réalité, il doit évidemment se proposer une autre tâche. Qu’il s’agisse d’une rose ou d’une gazelle, il aura beau faire, il n’arrivera jamais à les copier fidèlement ; il manquera toujours à la copie, si habile qu’elle soit, un caractère que la nature seule possède : la vie. Il faut donc chercher hors de l’imitation le but de l’art. S’il n’est pas donné à l’homme de copier la réalité et de lui donner l’apparence de la vie, il lui est permis du moins de saisir, de dégager l’idée exprimée par la réalité et de rendre cette idée plus sensible en la transportant dans le domaine de l’art : telle est en effet la tâche du génie. Depuis Homère jusqu’à Shakspeare, depuis Phidias jusqu’à Michel-Ange, depuis Raphaël jusqu’à Rubens, tous les grands artistes ont ainsi compris leur mission. Ils ont vu d’un œil pénétrant ce qu’ils voulaient reproduire, mais ils n’ont jamais essayé de le copier littéralement. L’attribut distinctif du génie n’est-il pas la puissance créatrice, et le génie n’est-il pas la condition indispensable de toute œuvre d’art capable de traverser plusieurs générations sans rien perdre de sa renommée ? Appliquez cette théorie à l’histoire de la peinture ou de la statuaire, et vous la verrez se vérifier de point en point, quel que soit le siècle que vous aurez choisi pour l’éprouver. Que fait la peinture florentine à ses