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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/734

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Francis, disposé par Antoine à se méfier de Morin, suspecta un piège dans la générosité de celui-ci, et ne tarda pas à en découvrir le motif quand il entendit le marchand lui commander deux pendans aux tableaux vendus.

— Je vous les achète d’avance, dit Morin.

— A quelles conditions ? demanda Francis.

— Mais, reprit le marchand, il me semble que vous n’avez pas à vous plaindre des premières conditions que je vous ai faites ? Quand je propose une affaire à un artiste, à lui d’accepter ou de refuser, mais l’affaire conclue, je traite comme je l’entends avec mes cliens. Il est bien entendu que je gagne sur le marché, mais nous ne vivons pas dans les nuages : chacun vit de son état et cherche à en bien vivre.

— Alors vous ne devez pas trouver étonnant que je fasse comme tout le monde, dit Francis, et que je préfère, par exemple, traiter directement avec la personne qui désire avoir deux pendans aux tableaux qu’elle a achetés : en faisant l’affaire moi-même, je bénéficierai naturellement du gain que vous auriez fait sur moi. Vous l’avez dit vous-même : chacun vit de son état et cherche à en bien vivre.

— Mon cher monsieur, dit Morin, je suis allé vous prendre dans votre grenier, je vous ai mis en bonne posture, je voulais vous mettre dans une meilleure. Vous vous croyez déjà assez grand garçon pour vous passer de moi ; à votre aise. La délicatesse avec laquelle j’ai agi avec vous me servira de leçon.

— Alors, dit Francis, j’aurai l’honneur d’informer Mme la princesse de *** que je ne suis pas à la campagne, comme il vous a plu de le lui dire, et que je me tiens à sa disposition.

— Vous êtes parfaitement libre, dit Morin.

Francis revint chez lui, et de là se rendit à la maison d’Antoine, où il était attendu. Tous les buveurs d’eau y étaient réunis et l’accueillirent de telle façon qu’il se trouva promptement à son aise. On fit un repas modeste mais cette simplicité était de la part des convives l’objet de plaisanteries qui donnaient à entendre que chacun d’eux n’était pas habitué à un semblable ordinaire. La réception de Francis s’accomplit sans aucune des formalités ridicules dont il avait entendu parler. On ne lui demanda aucun serment : seulement le président de la société, un peintre qui s’appelait Lazare, le prit à part et lui donna lecture de l’acte d’association. C’était, formulée en articles, la répétition de la profession de foi qu’Antoine lui avait faite la veille. Lazare lui fit relire une seconde fois l’article 5, qui était ainsi conçu : « Le but de la société étant principalement de maintenir chacun de ses membres dans la stricte intégrité de son art, aucun d’eux ne pourra s’en éloigner et se livrer à des productions