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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/740

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par écrire sept ou huit lettres dans lesquelles il s’essayait à une impertinence sèche et digne. Il trouva enfin une forme de refus qui lui parut satisfaisante, et se promit bien de l’envoyer dès le lendemain. Il était tellement préoccupé de cette aventure, qu’il ne lui vint pas à l’idée un seul moment que le meilleur motif qu’il eût de refuser des leçons à la princesse, c’était Antoine : la pensée lui en vint seulement le lendemain au matin. Ce tardif souvenir modifia les termes de son refus ; il écrivit une nouvelle lettre, et remplaça le ton dépité par celui du regret. Il ne précisait rien, mais il éveillait des doutes sur la véritable cause du refus : c’était un non qui paraissait facile de ne pas dire oui.

Francis pensa qu’il serait plus convenable de faire porter cette lettre que de l’envoyer par la poste ; puis il réfléchit qu’il avait justement affaire dans le quartier de la princesse et qu’il pourrait déposer la lettre à son hôtel. Il s’habilla, et, s’imaginant que le temps était fort beau, il fit quelque toilette. Quand il arriva dans la rue, le temps avait changé. Francis prit une voiture à une station voisine. Comme il remettait sa lettre au concierge de la maison que la princesse habitait, celle-ci sortait précisément en voiture ; Francis l’aperçut à la portière, la reconnut aussitôt, et ajouta tout haut : — Cette lettre vient de la part de M. Francis Bernier. — La princesse, qui avait pu entendre, ne s’était pas arrêtée, et l’équipage était sorti du vestibule. Francis resta contrarié, mécontent de lui-même ; sa conscience lui reprochait toutes ces hésitations, qui avaient fini par une capitulation.

Revenu chez lui, il essaya de travailler ; mais il n’était pas en train. Au moment où il allait sortir, il vit entrer Antoine, et fut malgré lui embarrassé par sa présence. — Je viens vous annoncer, dit le buveur d’eau, que je vous ai trouvé rue Notre-Dame-des-Champs un atelier deux fois plus grand que le vôtre et moitié moins cher. Vous avez la vue sur des jardins, et vous serez à dix minutes de chez nous. L’atelier sera libre dans quinze jours. Je l’ai retenu et j’ai donné des arrhes.

— Vous avez eu tort, dit Francis avec vivacité ; je ne connais pas cet atelier ; il peut ne pas me plaire.

Antoine ne s’offensa pas de cette vivacité. — Tous les ateliers se ressemblent à peu près, dit-il, et pourvu que le jour soit favorable, cela suffit

— Celui-là est trop haut, dit Francis.

— Comment ! répondit Antoine en souriant, je ne vous ai pas dit l’étage ; c’est au rez-de-chaussée.

— Trop humide alors.

— Ah ! mon ami, répliqua Antoine, dites-moi donc tout de suite que vous ne voulez pas que nous soyons voisins.