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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/95

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mutilée semble pousser un cri de douleur, et une statue accroupie tire la langue avec un rire idiot et béat qui fait horreur, car entre ses mains et ses pieds on découvre la place réservée pour déposer le cœur arraché tout fumant par le sacrificateur de la poitrine des misérables qu’il immolait à de pareils dieux. Ce qui frappe ici plus que tout le reste et laisse dans l’âme une impression d’effroi qu’on ne saurait oublier, c’est une statue colossale déterrée près de la cathédrale par un hasard singulier le 23 août 1790, deux cent soixante-neuf ans, jour pour jour, après la prise de Mexico. Cette statue semble moins la représentation d’une figure humaine qu’un rêve monstrueux pétrifié. On n’aperçoit d’abord qu’une masse difforme sur laquelle sont tracés des dessins bizarres qui ne ressemblent à rien de réel, et parmi lesquels on discerne des mains, des dents, des ongles, des serpens entrelacés, et au milieu de tout cela une tête de mort placée au-dessous de la poitrine. En regardant de plus près ces hideuses arabesques, on parvient à y démêler l’intention de représenter une figure humaine qui a une tête de caïman à dents énormes, quatre mains ouvertes et étalées comme pour recevoir les victimes. On reconnaît même aux mamelles indiquées au-dessus de la tête de mort que cette épouvantable figure est une figure de femme. Une divinité masculine, accompagnée des mêmes attributs, dents, ongles, serpens, tête de mort, est adossée à la première et semble ne former qu’une masse avec elle. La moitié féminine du groupe est Teoyaomiqui, la déesse de la mort pour la guerre sacrée, pour la défense de l’abominable religion mexicaine. L’autre moitié représente, selon Gama, le dieu Teoyaotlatohua, qui présidait à la mort violente, et dont l’emploi était de recevoir les âmes de ceux qui étaient tués dans les combats, ou qu’on sacrifiait après les avoir faits prisonniers. Ce groupe est donc une sorte d’Hermès, formé par les images de Teoyaotlatohua et de Teoyaomiqui, couple très bien assorti, et dont l’aspect est aussi rébarbatif que les noms.

Personne à Mexico ne s’occupe avec plus d’intelligence que M. Ramirez des antiquités du pays. Malheureusement pour moi, il est en ce moment ministre et a une loi de douane à défendre, ce qui ne lui permet pas de donner autant de temps que je le voudrais à des conversations sur les hiéroglyphes mexicains. Ceux des lecteurs de la Revue qui ont bien voulu me suivre en Égypte sentiront combien un tel mot doit m’affriander ; mais, sans prévention, ce qu’on appelle les hiéroglyphes mexicains n’a pas l’intérêt des hiéroglyphes d’Égypte. Ceux-ci forment une écriture véritable et complète qui se compose en majeure partie de signes phonétiques, c’est-à-dire représentant des sons, et au fond assez analogues des lettres". Dans les hiéroglyphes mexicains tracés sur la pierre, sur le papier d’aloës, sur des peaux