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Page:Revue des Deux Mondes - 1853 - tome 4.djvu/96

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de cerf préparées, sur de la toile, ce qui me paraît dominer de beaucoup, c’est la représentation des objets et non des sons. L’écriture mexicaine est surtout une peinture montrant aux yeux une action plutôt que transmettant les expressions d’un récit. C’est évidemment un degré moins avancé de l’art. Je crois même que le sens des livres historiques ne pouvait être pénétré qu’à l’aide d’une interprétation traditionnellement transmise[1]. La portion la plus considérable des manuscrits aztèques offre aux regards une indication directe et abrégée d’un fait visible. Dans un livre sur l’éducation, on voit au chapitre des Châtimens des parens frapper leurs enfans au visage avec les feuilles piquantes du nopal : cette scène peinte est un précepte d’éducation domestique. Quand Fernand Cortez aborda au Mexique, avec les envoyés de Montezuma vinrent des peintres qui dessinaient les hommes, les chevaux, les vaisseaux; c’était leur manière d’écrire leur rapport. Je ne sais comment Montezuma l’aurait compris sans explication. Cette explication était si nécessaire, que plus tard, Cortez ayant reçu d’un chef allié une représentation hiéroglypiiique du pays qu’il avait à parcourir, ce chef lui envoya en même temps dix nobles très savans pour l’interpréter.

Deux choses seulement ne pouvaient se peindre aux yeux, les dates et les noms de lieu. Pour les premières, les Aztèques avaient recours à leur cycle, qui, au moyen de quatre signes, la maison, la pierre, le lapin et le roseau, dont chacun tour à tour commence une série de treize, divise en quatre treizaines les cinquante-deux années du cycle; en joignant à un des quatre signes dénommés plus haut un certain nombre de points depuis un jusqu’à treize, on peut indiquer facilement à laquelle des cinquante-deux années un fait se rapporte. Quant aux noms de lieux, comme ils ont tous un sens qui peut se traduire en images, il n’y a encore là nulle nécessité de recourir à des lettres. Ainsi Tenotchitlan veut dire la pierre près du nopal : on traçait les images d’une pierre et d’un nopal, et l’ancien nom de Mexico était non pas écrit, mais figuré ; ce n’était pas une transcription de sons, mais un dessin représentant des armes parlantes. Cela est si vrai, que cet hiéroglyphe de Tenotchitlan sert aujourd’hui d’armoiries à la ville de Mexico. Chapoultépec voulait dire la montagne de la sauterelle : on plaçait une sauterelle sur une montagne, et je ne dirai pas on lisait, mais on voyait le nom de Chapoultépec.

De même, dans une peinture qui montre Alvarado massacrant les nobles mexicains dans le grand temple, l’armée espagnole et

  1. C’était une sorte de mnémonique. Il en était, je crois, de ces peintures comme de celles par lesquelles les Peaux-Rouges transmettent des chants qui ont besoin d’être conservés par une autre voie; car, comme dit Tanner, « bien qu’on puisse, par l’inspection des figures, comprendre l’idée, on ne saurait, par ce moyen seul, répéter le chant. »