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— Adieu ! adieu ! répliqua Jacques en bon Vaudois pour qui ce mot signifie bonjour.

— Vous voilà endimanché de bonne heure, cousin, reprit Chérot ; auriez-vous entendu par hasard le son des cloches, et descendez-vous vers la piscine où se distribue l’eau de la régénération ? Les yeux aveugles commencent donc à voir la lumière depuis l’arrivée de la jeune parente ?

Jacques fit un mouvement ;

— La Bernoise ! s’écria Pierre, c’est-il de la Bernoise que vous parlez, père Abraham ? Qu’a-t-elle donc fait, dites ?

— Elle a confessé tout haut la vérité, répliqua Chérot avec pompe ; elle est descendue des Morneux à la maison de Dieu.

— Elle va au temple, vous voulez dire, reprit Larroi ; au fait, je m’en souviens à cette heure. Ah bien ! mais Jacques ne s’y oppose donc plus ?

— Qu’importe l’opposition des irrégénérés ? remarqua solennellement Chérot.

— Tais-toi, pinte baptisée ! interrompit Barman à bout de patience ; ce qui se passe aux Morneux ne regarde ni toi ni les autres.

— Alors tu conviens de la chose ? interrompit Pierre. Par ma vie ! j’en étais sûr ! Dès qu’on a ouvert sa porte à quelqu’un des Allemagnes, tout est fini !… A moi on m’a pris mon bien, à toi ton commandement ! Bernoises ou Bernois, c’est toujours le malheur ! Je gage que tu n’es plus le maître chez toi !

Les yeux de Jacques devinrent jaunes de bile. — Tu ne crois pas cela ! dit-il dédaigneusement ; non, mille dieux ! tu ne peux pas le croire ! Tout le monde sait que mes gens sont dans ma main comme ce bâton, n’allant qu’où les conduit mon désir.

Marthe sortait de l’habitation dans ce moment même, parée de son plus beau costume et tenant à la main son livre de psaumes.

— Ceci nous apprend que la créature descend aux sources de l’édification, dit Abraham en la montrant a son cousin.

— Voyons ce que tu vas faire, reprit Larroi, qui guigna Jacques. Si la Bernoise va au temple par la franche volonté, c’est clair que tu es devenu un saint, sinon tu nous montreras comment elle t’obéit.

Barmou, qui se préparait à passer outre en haussant les épaules, s’arrêta brusquement. Le dilemme était trop péremptoire pour qu’il fût possible d’y échapper. Laisser partir Marthe, c’était évidemment donner prétexte au voisin de le rendre ridicule en répandant le bruit de sa prétendue conversion ; mais s’il retenait la jeune fille d’autorité, il s’exposait à l’éclat d’une désobéissance qui compromettait gravement sa réputation de maître. Des deux côtés il y avait donc péril. Le vieux paysan le comprit sur-le-champ ; il ne manquait au