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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/108

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certaines influences qui semblent laisser sur tout leur empreinte, voici les manifestations les moins prévues, les faits qui tranchent avec les théories, les diversions mystérieuses de l’inspiration et du talent ; voici les génies qui se réveillent, les langues dépossédées qui font encore écouter leurs accens dans le bruit des langues dont la civilisation a consacré l’usage : variété étrange et puissante, qui se produit, non pour protester essentiellement contre le cours général des choses, non pour reformer le travail des siècles, mais pour montrer comment la vie n’est point aussi simple qu’on le pense parfois, combien au contraire il y a en elle d’élémens complexes, — inépuisable aliment de l’esprit d’investigation ! Quel épisode aurait mieux sa place dans cet ordre de curiosités littéraires que l’histoire de ces idiomes populaires qui restent comme l’expression originale et survivante d’un génie local, qui ont leur destinée spéciale et leurs traditions, leurs éclipses et leurs caprices de renaissance ? Le génie poétique de l’Angleterre suit son cours et se développe de Shakspeare à Milton, de Milton à Pope, de Pope à Byron mais à côté fleurit dans l’idiome écossais toute une poésie qui commence au roi Jacques, auteur de l’Église du Christ au milieu de la pelouse, qui s’est réveillée au dernier siècle avec Allan Ramsay, et qui a été continuée de nos jours par Robert Burns. Auprès de Goethe et de Schiller, Hebel, l’auteur des Poésies Alémaniques, chante la Wiese et décrit les scènes champêtres de l’Oberland badois dans le dialecte de sa contrée natale. Enfin, dans l’éclat même de la poésie française contemporaine ne s’est-il pas produit une sorte de rajeunissement de l’idiome méridional, dont Jasmin reste, sinon la seule, du moins la plus brillante expression ? De toute cette poésie rustique et populaire, on pourrait dire ce que Burns dit d’Allan Ramsay dans son fragment de la Poésie pastorale  : « Avance, honnête Allan ! … tu peins la vieille nature dans tes doux vers calédoniens … C’est dans des vallons de pâquerettes que coule ton ruisseau, où de jolies filles blanchissent leur linge … les amours champêtres sont la nature même : nul débordement de galimatias ampoulé, nulle idée confuse, mais la douce magie de l’amour !… »

Poésie populaire, poètes populaires ! quel est le vrai sens de ces mots ? quelle application trouvent-ils aujourd’hui ? Notre temps, — et en cela il a offert moins de nouveauté peut-être qu’on ne l’a cru, — notre temps a vu des laboureurs, des forgerons, des bergers, des coiffeurs, se révéler tout à coup poètes, quelques-uns poètes dans l’acception la plus large et la plus élevée du mot. L’expression de leur génie est-elle cependant ce qu’on peut proprement appeler la poésie populaire ? N’y a-t-il point au contraire une nuance sensible et curieuse à observer ? Dans l’histoire de l’inspiration humaine, le caractère le plus frappant de la poésie populaire, c’est d’être