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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/1271

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qui n’ont rien de mystérieux et qui se poursuivent à la pleine lumière. Récemment encore le chef des forces navales anglaises dans la Baltique, sir Charles Napier, était l’objet d’une ovation des plus humoristiques, à laquelle lord Palmerston prenait part. Lord Palmerston racontait, le verre à la main, quelques-uns des traits de la vie militaire de sir Charles Napier, peut-être même son imagination y ajoutait-elle un peu. Ce qui en résulte, dans tous les cas, c’est que sir Charles Napier est un chef d’élite qui n’en est point à faire ses preuves d’énergie et d’audace, qui part, comme il l’a dit en présence du premier lord de l’amirauté, pour déclarer la guerre, et qui répète en parlant le mot de Nelson : « L’Angleterre compte que chacun fera son devoir. » Comme on voit, tout tend à se précipiter aujourd’hui. Entre l’état actuel et une guerre déclarée, que manque-t-il ? Une simple formalité peut-être, qui ne tardera point sans doute à être remplie. Déjà dans les premiers jours de ce mois, par un acte spécial de l’Angleterre et de la France, la Russie a été sommée d’avoir à évacuer les principautés du Danube ; peu de jours lui étaient accordés pour souscrire à l’engagement d’opérer cette évacuation avant la fin d’avril, et comme il est peu probable que la Russie souscrive à ces conditions, la guerre existe, par le fait même du rejet. Tel est le résultat dernier d’une année de négociations laborieuses. Ainsi se dessine dans toute sa gravité la situation de la France et de l’Angleterre vis-à-vis de la Russie. C’est un antagonisme qui va se vider par les armes en Orient.

Ce n’est point sur ce côté des affaires d’Orient qu’il peut exister une obscurité ou un doute ; mais on n’ignore pas qu’il est d’autres élémens qui se mêlent à cette crise, qui peuvent l’aggraver ou en adoucir les périls. Il est évident que la question orientale peut se circonscrire ou s’étendre dans ses effets, s’envenimer ou s’atténuer suivant l’altitude définitive que prendront l’Autriche et la Prusse, suivant aussi le degré d’intensité des mouvemens insurrectionnels provoqués en ce moment même parmi les populations chrétiennes de l’Orient. Ce qui doit sembler étrange, c’est qu’un doute même soit possible, au sujet de la politique de l’Allemagne, représentée par l’Autriche et la Prusse. N’a-t-on pas vu en effet, depuis un an, les deux puissances allemandes s’associer à tous les efforts, à toutes les vues de la France et de l’Angleterre. Elles n’ont point agi sans doute comme ces deux derniers pays ; mais, sauf cette intervention active, leur politique a été la même. Elles ont délibéré dans les mêmes conseils, ont signé les mêmes protocoles, les mêmes propositions de paix. Elles ont marché d’un pas égal dans ces négociations, reconnaissant les droits du sultan, condamnant les prétentions de la politique russe, et leur dernière intervention dans ce sens ne remonte pas loin, elle date du 7 mars. L’Autriche en effet avait cru devoir charger le comte Orloff de quelques propositions. Laissant de côté ces propositions, l’empereur Nicolas en a adressé de nouvelles qu’il décore du nom de « préliminaires de paix. » Ces préliminaires replaçaient tout simplement la question sur le terrain où l’avait placée, au début le prince Menchikof, en y ajoutant seulement des exigences nouvelles. Ce sont ces propositions que M. de Meyendorf a été chargé de communiquer à M. de Buol, et que M. de Buol a soumises à la conférence. Par une délibération motivée du 7 mars, la conférence de Vienne a déclaré une fois de plus inacceptables les singuliers préliminaires de paix de la Russie.