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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/182

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employé en travaux de toutes sortes. Cette mauvaise crique, où n’abordait pas un seul bateau avant 1814, était devenue, cinq ans après, le siège d’une navigation de plusieurs milliers de tonneaux. A l’origine, les agens de la marquise avaient été obligés de faire apporter à chers deniers, de l’extérieur, tous les matériaux de leurs constructions, la chaux de Sunderland, la houille de Newcastle, l’ardoise d’Aberdeen; on avait dû faire venir aussi des ingénieurs, des maçons, des mineurs, des matelots, des ouvriers d’art tels que boulangers, charrons, menuisiers, qui manquaient absolument sur les lieux. A l’époque où écrivait M. Loch, ces étrangers n’étaient plus qu’en petit nombre, la population indigène en avait déjà appris assez pour se suffire à elle-même. Ces barbares de la veille étaient devenus en quelques années d’habiles ouvriers, de bons marins, de hardis mineurs. On avait construit, aux frais de la marquise, des églises et des maisons d’école, il ne fallait plus que très peu de temps pour achever l’œuvre de la régénération.

En même temps M. Loch n’avait pas de peine à prouver que l’opération avait été des plus fructueuses au point de vue de la production rurale proprement dite. Les terres dépeuplées avaient été partagées en vingt-neuf grandes fermes d’une étendue moyenne de 10,000 hectares, consacrées uniquement à l’élève des moutons. Des béliers et des brebis de la race cheviot améliorée avaient été importés en grand nombre et ajoutés aux moutons indigènes à tête noire. Les bruyères avaient été brûlées, les marécages assainis par des fossés, les eaux recueillies dans des canaux artificiels et distribuées le long des montagnes. A la suite de ces travaux intelligens, un gazon naturel, fin et serré, couvrait les cimes les plus élevées comme les vallées les plus profondes. Ce gazon primitif, dont la mince couche n’aurait pas tenu sous les pieds d’animaux plus lourds, s’améliorait au contraire et s’épaississait tous les jours sous l’engrais qu’y transportaient d’eux-mêmes les moutons. On estimait à 118,000 le nombre des cheviots et à 13,000 celui des têtes noires que nourrissaient déjà les montagnes du Sutherland. L’exportation de la laine s’élevait annuellement à 415,000 livres, qui se vendaient, à Inverness, aux manufacturiers du comté d’York. On livrait 30,000 moutons aux fermiers du Northumberland, qui les engraissaient pour la boucherie. Ces produits, déjà plus considérables que les anciens, qui étaient à peu près nuls, promettaient de s’accroître vite. De leur côté, les fermiers de la côte, placés dans de meilleures conditions, avaient adopté, sur les instigations et avec l’aide de leurs maîtres, des pratiques perfectionnées, et de beaux champs d’orge et de froment, des turneps semés en lignes, de bonnes prairies artificielles, remplaçaient les broussailles, si chères aux anciens habitans.