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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/183

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Toutes les espérances de M. Loch ont été réalisées, toutes ses assertions confirmées par le temps. Le comté de Sutherland n’aurait jamais pu fournir par lui-même les capitaux nécessaires. Il avait fallu que l’héritière du comté épousât un homme extrêmement riche qui voulût bien consacrer une partie de sa fortune à améliorer le patrimoine de sa femme. Le gouvernement anglais, pour conserver le souvenir de cette révolution, a érigé la terre de Sutherland en duché, et le marquis de Stafford, par un dernier sacrifice, a vu le noble nom de sa famille se perdre dans celui qu’il avait contribué à relever; le fils de la comtesse de Sutherland et du marquis de Stafford s’appelle aujourd’hui le duc de Sutherland. Il retire de ces 300,000 hectares 1 million de francs de revenu, et ce n’est là, dit-on, que le cinquième de son immense fortune; le reste lui vient des propriétés de son père dans les comtés de Stafford et de Salop, grandement améliorées aussi, mais d’après d’autres procédés, parce qu’elles présentaient d’autres élémens. Quand le nouveau duc a pris possession de ces domaines des Highlands en 1840, il n’a recueilli que des témoignages de reconnaissance. Le souvenir des anciennes résistances était effacé, la fumée des incendies envolée sans retour. Les fermiers qui avaient pris à bail, soit les montagnes dépeuplées de l’intérieur, soit les bruyères incultes de la côte, avaient tous fait fortune. M. Loch, l’intendant général, était membre du parlement. La population, qui s’élevait à 20,000 âmes au lieu de 15,000, était toujours agglomérée le long de la mer et ne songeait plus à en sortir. Là, de mauvaises terres, défrichées et épierrées à grands frais, profondément amendées par des herbes marines et toute sorte d’engrais artificiels, se louaient jusqu’à 100 fr. l’hectare. Ports, mines, pêcheurs, tout avait prospéré. Du haut de son manoir féodal de Dunrobin qui domine cette côte, l’héritier des Mhoir-Fhear-Chattaibh assistait à un spectacle d’activité industrieuse dont ses pères n’avaient pas l’idée.

A l’intérieur, les anciens moutons à tête noire avaient presque disparu, des cheviots avaient généralement pris leur place. 200,000 moutons vivent aujourd’hui sur des étendues qui n’en nourrissaient pas autrefois le quart. Admirable propriété de l’espèce ovine de se prêter à tous les sols et à tous les climats ! Le même animal qui fait la principale richesse de l’Arabe dans les déserts sablonneux du Sahara a permis de rendre profitables des rochers et des tourbières qui touchent au pôle ! « On est confondu, dit un voyageur français, M. de Gourcy, en parcourant ces tristes solitudes, de les trouver peuplées de superbes moutons qui donnent tous les ans cinq livres d’une laine assez belle, et qui, à trois ans et demi, sans autre nourriture que celle qu’ils trouvent hiver comme été, pèsent vivans 200 livres anglaises. » Les hauteurs servent de pâturages d’été, et les vallons ou