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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/193

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mencé dans la paix la plus profonde, l’année 1853, après avoir été elle-même remplie de tous les bruits et de toutes les incertitudes de cette affaire, laisse, en s’en allant, l’Europe au seuil d’une des plus décisives conflagrations de ce siècle.

C’est là ce qui fait la gravité du moment présent. De quelque manière en effet qu’on envisage l’état actuel des affaires d’Orient, quelque confiance qu’on puisse avoir dans les négociations diplomatiques, il est trop visible que plus on va, plus la question s’aggrave, plus les événemens se dessinent de manière à rendre imminent un conflit désastreux. Sur le théâtre même de la guerre comme dans les conseils des gouvernemens, en Orient comme en Europe, tout concourt à précipiter un dénoûment. Qu’on obsere un moment quelques-unes des circonstances les plus propres à caractériser la lutte engagée entre la Turquie et la Russie. Depuis deux mois que la guerre est ouverte, elle s’est poursuivie avec des chances diverses. Sur le Danube, après avoir débuté par un brillant passage du fleuve et par quelques avantages, les Turcs se sont retirés dans leurs cantonnemens, où ils sont encore. Leur situation reste entière sur ce point, si ce n’est cependant qu’ils sont en vue de provinces turques occupées par les Russes. En Asie, l’armée ottomane a également commencé par des succès ; les revers sont venus peu après. C’est ainsi qu’en peu de jours, les Turcs ont été obligés de lever le siège de la forteresse d’Ackhalzik par suite d’un combat malheureux, et qu’ils ont eu à essuyer un autre échec près d’Alexandropol. Quelque exagération qu’il doive y avoir dans ce qu’on a pu dire des pertes éprouvées par les Turcs, cette double défaite n’est point douteuse aujourd’hui. C’est dans l’intervalle de ces combats qu’un événement plus grave est survenu, qu’une partie de la flotte ottomane a été détruite par une division de la flotte russe dans la rade de Sinope. Il est facile de comprendre l’impression causée à Constantinople par ce désastre. Les Turcs se sont conduits avec courage sans doute, plusieurs capitaines de vaisseaux ont fait sauter leur navire plutôt que de se rendre. D’un autre côté, à la suite de ce malheur, le ministre de la marine du cabinet ottoman se trouve aujourd’hui menacé non-seulement de destitution, mais encore de mise en accusation. Quoi qu’il en soit cependant, une division de la flotte turque n’en a pas moins été détruite, et la Porte-Ottomane n’en a pas moins perdu les moyens de garantir ses côtes. Ainsi au même instant la Russie faisait marcher des forces plus considérables vers le Danube, elle ressaisissait la victoire en Asie ; par le fait de guerre de Sinope, elle devenait la maîtresse de la Mer-Noire, et elle ne s’arrêtait point là : les efforts de sa diplomatie parvenaient à susciter un autre ennemi à la Turquie, en entraînant la Perse à une déclaration de guerre contre l’empire ottoman.

Telle était il y a peu de temps et telle est encore la situation des choses. Il n’est point nécessaire assurément d’en démontrer la gravité. Que la situation de la Turquie en soit devenue plus périlleuse, cela n’est point douteux. Au point de vue européen, le fait capital et décisif dans ces conjonctures, c’est le désastre de Sinope. Tant que la guerre entre la Russie et la Turquie s’est bornée à quelques combats de terre sur le Danube et en Asie, l’Europe a pu assister à cette lutte en concentrant ses efforts dans les négociations et en s’interdisant, par un zèle jaloux de la paix, toute démonstration plus effec-