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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/274

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plus d’idées qu’ils n’en expriment eux-mêmes. Ils mettent la pensée en mouvement, et elle va son train ; quand on a fermé leurs livres, on aurait toujours envie, pour abonder dans leur sens, pour distinguer quelquefois, sinon pour combattre, de reprendre avec eux la conversation. C’est ce qui me fait espérer qu’ils me permettront de me mêler à leur entretien sur les progrès et la formation du tiers-état, et qu’ils ne trouveront cette intervention ni trop indiscrète ni trop importune.

Dans une préface pleine d’une noble franchise, M. Thierry nous apprend lui-même au travers de quelles impressions différentes son livre avait été commencé, poursuivi, puis terminé ou plutôt interrompu. « En l’entreprenant, dit-il, je croyais avoir sous les yeux la fin providentielle du travail des siècles écoulés depuis le XIIe. » Le narrateur, nous dirions volontiers le chantre des communes (car les récits de M. Thierry ont une grâce sévère qui les rapproche de la poésie), s’était fait de l’ensemble de notre histoire une idée pleine de grandeur, et qui semblait parfaitement conforme à la vérité des faits. Suivant lui, cette histoire entière n’était que le long développement de l’égalité civile, tendant, avec l’aide de la royauté, vers l’établissement de la liberté politique. De siècle en siècle, il se plaisait à suivre l’élévation graduelle de toutes les classes de la société vers un niveau commun d’intelligence et de bien-être, et l’abaissement des barrières aristocratiques qui les avaient longtemps séparées. Dans cette œuvre lente, toujours laborieuse et parfois sanglante, il voyait le pouvoir royal venir habituellement au secours des petits, des fables et des opprimés. « Chaque grande réforme, disait-il, chaque époque décisive correspond dans la série des règnes au nom d’un grand roi et d’un grand ministre. » Une alliance permanente s’était ainsi établie, à travers les âges, entre les rois de France et les classes moyennes et roturières qui, sous le nom de tiers-état, cherchaient à conquérir leur place au soleil et leur droit dans la cité. Le résultat d’une si longue alliance, interrompue seulement par un divorce de quelques années, avait dû être une transaction solennelle qui avait partagé le pouvoir politique entre la royauté encore antique, mais renouvelée, et le tiers-état, désormais maître absolu. La monarchie constitutionnelle de 1814 et de 1830 paraissait à l’historien du tiers-état avoir consacré cette transaction. La liberté politique, fondée au sein de l’égalité sociale et au pied du trône, telle était à ses yeux la conclusion et, si nous osons ainsi parler, la moralité de l’histoire de France.

C’était ce tableau que M. Thierry avait entrepris de nous peindre. Il n’en était pas de plus grand ni de plus digne de sa plume. Raconter la fin de nos révolutions, c’était donner le complément de ses propres travaux. Il comptait éclairer d’une dernière et vive lumière