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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/645

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première. Henri de Somerville ne veut ni désobéir au duc ni renoncer à Louise. Pour tout concilier, il avise un certain Gaston de Lombardy, aventurier napolitain, à moitié homme du monde, à moitié bandit, qui, pour cinquante mille francs par an, souscrit le plus ignominieux de tous les pactes : il consent à épouser Louise et à la quitter le jour même de ses noces, de manière à laisser Henri souverain maître de cette femme, qui continuera de recevoir ses bienfaits. Il est facile de prévoir les scènes qui vont jaillir de cette donnée. Louise est seule, à Paris, fort étonnée de la disparition de son mari, car il est dans la destinée de cette singulière héroïne de tout accepter et de s’étonner de tout avec la même ingénuité. Henri, marié dans l’intervalle et déjà ennuyé de son bonheur conjugal, vient frapper à la porte de Louise, pendant que Gaston y revient de son côté, — Gaston, infidèle à son engagement parce qu’il a autrefois connu Louise à Naples, parce qu’il l’a aimée avant Henri, parce qu’il l’a demandée en mariage au temps où il était honnête et pauvre, qu’on la lui a refusée alors, et que son amour s’est rallumé au milieu des péripéties où l’a jeté sa soif d’aventures et de richesses. Les deux derniers actes nous montrent dans toute sa crudité la lutte de ces deux hommes, dont l’un a donné à Louise son nom, l’autre son or, dont l’un a des droits légaux, l’autre des droits occultes. Aucun mot ne saurait rendre l’impression causée par cette rivalité que rien n’ennoblit, n’adoucit ni ne déguise, et qui ne se termine que grâce à un épisode romanesque, aussi inadmissible que tout le reste. Gaston, lorsqu’on lui a refusé la main de Louise, s’en est consolé en séduisant une belle Génoise nommée Bianca. Bianca a deviné qu’il en aimait une autre; elle est morte en lui laissant un fils. C’est pour ce fils que Gaston a voulu être riche, c’est pour lui qu’il s’est voué à l’opprobre. Louise a pénétré ce secret; elle a vu l’enfant de Bianca, elle l’a adopté, elle lui a fait croire qu’elle était sa mère, et, au dénoûment, transfigurée par cette maternité factice, elle fait à Henri de Somerville une restitution un peu tardive, lui déclare qu’elle aime définitivement son mari, et part avec Gaston pour aller se consacrer avec lui à l’éducation du fils de la Génoise.

Avons-nous besoin d’insister de nouveau sur cette falsification des sentimens honnêtes que nous avons déjà signalée, et qui est le trait distinctif de toute la pièce ? Louise se relève de sa déchéance involontaire ou consentie par un simulacre d’amour maternel qui n’est pas même la maternité; Gaston se réhabilite aux yeux de sa femme en faisant profiter son fils de l’ignominie dont il s’est couvert. Dans ces deux âmes, toutes deux vendues et souillées par un honteux marché, l’auteur fait fleurir un amour qui les purifie, retombant une centième fois dans cette antithèse, qu’on appelle encore paradoxale par politesse, mais qui ressemble de plus en plus à un lieu commun. Peut-on du moins lui accorder la triste gloire d’avoir sauvé, à force d’habileté ou d’audace, les situations scabreuses qu’il s’était créées à plaisir, d’avoir dénoué ou coupé d’une main ferme le fil qu’il avait embrouillé ? Nous ne le croyons pas. M. Gozlan n’a rien coupé, rien dénoué, rien sauvé. Avec une donnée impossible, il a fait une pièce inacceptable; avec des mœurs tarées, il a fait des personnages équivoques. Y a-t-il donc là un si grand mérite de difficulté vaincue, et sied-il de crier au tour de force ? Je