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prétendu[1], ni imposer à la nation des croyances officielles, ni provoquer à l’hypocrisie ; ce n’était ni s’interposer entre Dieu et l’homme, ni violenter les consciences : c’était arracher le pays à un chaos qui était devenu un obstacle à l’établissement de tout pouvoir régulier. La France était partagée entre deux clergés, dont l’un disposait légalement de tout le matériel du culte, et dont l’autre parlait à presque toutes les consciences. Les populations étaient tiraillées du berceau jusqu’à la tombe entre des évêques assermentés assis sur tous les sièges et des évêques exilés frappant chaque jour de nullité les actes des premiers. Cette lutte violente, se prolongeant devant l’indifférence railleuse et le cynisme triomphant, aurait bientôt amené une démoralisation populaire tellement profonde, qu’aucune société n’aurait pu la supporter impunément.

Rendre à l’un des clergés qui divisaient la France, en le rattachant à l’unité catholique, la considération et la confiance qu’il n’avait plus, ôter à l’autre les sentimens amers toujours entretenus par l’exil, concilier la plénitude de la liberté des cultes avec un éclatant hommage à des faits aussi vivaces que la nationalité française elle-même, c’était là faire de la grande politique, et reconnaître de manifestes nécessités. Il fallait toutefois, pour imposer un concordat à la France du directoire, plus de puissance que n’en possédait à son avènement aux affaires le jeune vainqueur d’Arcole et des Pyramides. Il avait pu pacifier la Vendée, rappeler les proscrits, rétablir le crédit, fondre l’administration, reconstituer la justice ; mais, malgré les prodiges accomplis en l’an VIII, il n’aurait pu, sans péril pour lui-même et pour son œuvre, montrer un légat du pape, précédé de la croix d’or symbole de sa dignité, au sein de ce palais tout plein encore du souvenir de la grande apostasie conventionnelle. Ce n’était qu’après avoir franchi le Saint-Bernard, triomphé à Marengo et conquis la paix universelle, que Bonaparte pouvait mener à fin une pareille œuvre. Il fallait la réunion de tous les services et de tous les prestiges, la satisfaction de tous les intérêts et l’enivrement de toutes les âmes, pour triompher de résistances qui se produisirent partout, au sénat comme au tribunal, au conseil d’état comme au corps législatif, et dans l’administration aussi bien que dans l’armée.

Jusqu’alors, Napoléon n’avait rencontré devant lui, pour toutes ses conceptions réparatrices, que l’opposition du tribunat, et celle-ci était plus spirituelle qu’ardente, plus bruyante que nombreuse. Ces lettrés, qui subordonnaient l’esprit politique à l’esprit d’académie, s’inquiétaient fort d’une activité qui contrastait avec leur nature critique

  1. M. de Lamartine, Histoire de la Restauration, tome II.