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Page:Revue des Deux Mondes - 1854 - tome 5.djvu/739

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— Il faut croire que, les chamois n’abondent pas dans les alpages, dit-il avec une légère nuance d’ironie, puisque le cousin Hans redescend comme il est parti ?

Le chasseur haussa les épaules et répondit dédaigneusement : — Qui a jamais dit que les chamois abondaient dans les alpages quand le dégel leur permet de trouver des pâtures sur les plus grands pics ?

— Alors c’est donc que le cousin n’a pas voulu les chercher si haut ? reprit le sculpteur.

Hans lui jeta un regard farouche. — J’arrive des Schreck-Hœrner, dit-il avec une certaine emphase.

À ce nom, les deux femmes se retournèrent, et Ulrich lui-même ne put réprimer un mouvement. Les Schreck-Hoerner ou Pics de la Terreur sont en effet les plus hautes aiguilles qui se dressent sur le Mettemberg, et leur nom indique suffisamment combien leur abord a toujours paru redoutable ; les chasseurs eux-mêmes s’y hasardent rarement, et l’on compte ceux qui vont chercher les chamois jusque dans ces derniers refuges. Aussi mère Trina, qui achevait de mettre le couvert, revint-elle vers le foyer.

— Les Schreck-Hœrner ! répéta-t-elle d’une voix altérée : viens-tu vraiment des Schreck-Hœrner ?

— Pourquoi non ? répliqua Hans en la regardant.

— C’est là qu’ils sont tous restés !… murmura la vieille femme se parlant à elle-même… le père de Fréneli… le père de sa mère… et le père de l’aïeul… Il y a une vieille haine entre notre famille et les Schreck-Hœrner.

— Et même sur ces hautes cimes tu n’as rien trouvé ? demanda Ulrich, intéressé malgré lui à l’audace du cousin.

— Qui te dit cela ?

— Alors tu as vu des pistes ?

— J’ai vu mieux.

— Quoi donc ?

— Une troupe de chamois avec leur empereur !

Trois exclamations partirent en même temps. Dans ces sauvages vallées, la chasse au chamois est le côté romanesque et saisissant de la vie ; à elle se rattachent toutes les aventures miraculeuses ; elle est, — comme la contrebande sur nos frontières, comme les expéditions de pionniers vers l’ouest des États-Unis, ou la recherche de l’or aux bords du Sacramento, — l’éternelle inspiratrice des récits du foyer ; c’est là que puise la muse populaire pour ses contes des Mille et une Nuits ; aussi a-t-elle sur toutes les imaginations un irrésistible pouvoir.

À l’annonce de la rencontre faite par le chasseur, mère Trina, Fréneli et Ulrich se rapprochèrent de lui en l’interrogeant tous à la