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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/174

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à Berlin, à Munich, à Vienne, en Angleterre et en France, ne sont là que comme les membres épars de cet art tant de fois violé, mutilé par le temps et plus encore par les hommes.

Quant aux petits bronzes antiques, bien que fort rares et très précieux aussi, ils sont cependant répandus en assez grande quantité dans toutes les collections de l’Europe. Ces figurines représentent généralement des divinités : elles étaient pour les anciens les dieux de voyage. Tout le monde peut, en étudiant ces petits chefs-d’œuvre, se faire une idée de ce qu’était cette industrie dans l’antiquité.

La décadence de l’art antique des bronzes suivit exactement celle de l’empire romain, et on la vit se précipiter avec une rapidité effrayante à partir de Commode, ce fils indigne de Marc-Aurèle. Les deux Sévère semblent arrêter cet élan rétrograde, Aurélien et Probus suspendent un moment la chute de l’empire, et sous Dioclétien l’art semble vouloir se relever avec la gloire de Rome ; mais bientôt il retombe, entraîné par un courant irrésistible : Rome est abandonnée pour Constantinople ; le goût du luxe oriental altère ou étouffe partout le sentiment du beau ; les invasions et les guerres civiles se succèdent sans interruption, et à la fin du Ve siècle la décadence est complète. Pour en juger, il suffit d’aller dans le Forum romain et d’y comparer les bas-reliefs des arcs de Titus (79 ans après Jésus-Christ), de Septime-Sévère (193) et de Constantin (306). Quelle chute effrayante ! Les arts, dégradés dans leur principe, tombent alors dans la plus affreuse barbarie.

Cependant, à partir de Constantin, un art nouveau était sorti des limbes pour remplacer l’art du paganisme, dont la ruine était consommée. Ce fut au commencement du IVe siècle que le christianisme put enfin élever dans Rome ses premières basiliques : Saint-Paul-hors-les-Murs, Saint-Pierre-au-Vatican, Saint-Jean-de-Latran, Sainte-Agnès et Saint-Laurent-hors-les-Murs. Les ténèbres du moyen âge envahirent malheureusement l’aurore de cet art, qui se débattit pendant dix siècles au milieu d’aspirations sublimes jusque dans leur impuissance. Il faut arriver au temps où Dante et bientôt après Pétrarque et Boccace allaient évoquer les grandes ombres de Virgile et d’Homère pour voir l’art antique sortir du sépulcre où l’avait enfermé le moyen âge. Ce furent les bas-reliefs d’un sarcophage qui révélèrent au premier des artistes de la renaissance, Nicolas Pisan, les traces depuis longtemps perdues de la vérité dans les arts d’imitation. Ce sarcophage, sur lequel est représentée la Chasse d’Hippolyte, servait de tombeau depuis le Xe siècle à Beatrix, mère de la comtesse Mathilde de Toscane. On le voit encore aujourd’hui au Campo-Santo de Pise, à deux pas du baptistère où Nicolas Pisan sculpta cette chaire admirable, dont la grâce naïve annonce déjà les splendeurs futures de la renaissance.