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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/249

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roi l’ordre qu’elle venait de recevoir. « Elle étoit si bonne et si aimée de tout le monde, dit l’histoire de sa vie, que, lorsqu’elle se présenta à la porte du roi, les gardes après lui avoir fait part de leur ordre, n’osèrent s’opposer à ce qu’elle entrât. La surprise du roi fut extrême en la voyant avec un air de grandeur et de fierté tout ensemble que le dépit lui donnoit et qui augmentoit sa beauté. Elle lui dit qu’avant de partir de la cour par son ordre, elle avoit voulu connoitre quel crime elle avoit commis pour mériter d’être exilée. Le roi lui dit que son exil n’étoit que pour quinze jours, qu’il l’avoit accordé avec une violence extrême aux raisons d’état, à cause des intrigues qui troubloient toute la cour, et que l’on faisoit sous son nom, qu’elle le devoit plaindre de la violence que l’on avoit faite à son inclination et de la douleur qu’il en souffriroit pendant ce temps. Elle lui répondit que ces quinze jours dureroient le reste de sa vie, qu’ainsi elle prenoit congé de lui pour toujours. Le roi l’assura, comme il le croyoit, que rien au monde ne pourroit l’obliger à se priver de la voir un jour de plus. »

On comprend quelle dut être la douleur d’Anne d’Autriche en perdant une pareille amie, dont elle sentait bien qu’elle causait elle-même le malheur. Elle pleura, sanglota, l’embrassa plusieurs fois, et, dans le trouble où elle était, ne sachant que lui offrir, elle défit ses pendans d’oreilles, qui valaient bien dix ou douze mille écus, et les lui donna, en la priant de les garder pour l’amour d’elle.

Mme de Hautefort se retira près du Mans, dans une terre qui appartenait à sa grand’mère, emmenant avec elle son jeune frère, M. de Montignac, et sa sœur, Mlle l’Escars, sans oublier celle quelle croyait sa meilleure amie, Mlle de Chémerault, que Richelieu avait aussi mise en disgrâce pour couvrir sa trahison, et qui, sous le masque du dévouement, avait accepté l’odieuse mission de surveiller l’exilée comme elle avait fait la favorite. Tel était, à son égard, l’aveuglement de Mme de Hautefort, qu’avant de quitter Paris, ayant appris que la reine s’était bornée à donner 4,000 écus à Mlle de Chémerault, sans aucune autre marque d’attachement et d’estime, elle se sentit blessée dans l’opinion qu’elle s’était faite de la générosité de la reine, et lui écrivit une dernière fois pour lui rappeler, dans les termes les plus vifs, ce qu’elle devait à Mlle de Chémerault, oubliant sa propre infortune et le rang de celle à laquelle elle écrivait pour ne songer qu’à la jeune fille. Elle avait appris aussi qu’Anne d’Autriche n’avait pas témoigné une assez haute indignation de l’outrage qui lui était fait à elle-même en sa personne, et qu’elle avait trop paru se résigner au triomphe de Richelieu. Cette conduite avait été un coup douloureux à sa fierté et à sa tendresse ; elle en souffrait plus que de l’exil, et la façon dont elle en parle à la reine se ressent du trouble et de