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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/250

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l’amertume de son cœur. La lettre où elle exhale ses chagrins, pleine à la fois d’affection, de hauteur et de dépit, peint à merveille le caractère de Mme de Hautefort, et montre en elle, à vingt-quatre ans, à cet âge heureux des grands sentimens portés jusqu’à l’exagération, une sorte d’Emilie outrée et sublime. Voici quelques passages de cette lettre à la Corneille. On y sent que la plus grande douleur de Mme de Hautefort est de voir sa royale amie au-dessous de l’idéal de générosité et de noblesse qu’elle s’était formé, et la hardiesse de son langage en cette occasion marque déjà jusqu’où elle pourra se porter plus tord, lorsqu’elle croira la réputation de la reine bien autrement compromise.

« Madame[1], s’il m’étoit permis de juger des sentimens de votre majesté par les miens, je n’oserois vous dire adieu pour jamais, de crainte que cette parole ne mît votre vie au même péril où elle met la mienne en vous l’écrivant. Mais puisque Dieu vous fait avoir en cet accident la résignation que vous avez eue en tant d’autres, je ferois injure à la Providence et à votre courage, si je croyois que mes disgrâces et mes déplaisirs pussent donner quelque atteinte à votre santé et à votre repos. C’est donc pour jamais, madame, que je dis adieu à votre majesté, et je vous supplie très humblement de croire qu’en quelque endroit du monde que la persécution me puisse jeter, j’y passerai mes jours dans la fidélité et dans l’attachement qui sont les véritables causes qu’on me persécute, et n’aurai de regret, parmi les ennuis qui m’accablent, que de n’en pouvoir pas souffrir davantage pour l’amour de vous. Ma douleur me feroit ici achever ma lettre, si le zèle que j’ai pour votre gloire ne me défendoit de taire une chose qui la peut ternir, et de vous dissimuler l’étonnement que chacun témoigne de l’état où vous laissez Mlle de Chémerault. On sait que vous connoissez aussi bien son cœur que sa misère, et on ne croit pas même que vous lui deviez faire acheter le bien qu’elle peut recevoir de vous par une demande qui lui sortiroit de la bouche avec plus de peine que sa propre vie. Cependant on lui a commandé de se retirer avec 4,000 écus, qu’il faut qu’elle emploie à payer ses dettes : on parle de la renvoyer de la même sorte qu’on renverroit Michelette[2], si l’on s’étoit avisé des grandes cabales qu’elle fait dans la cour aussi bien que nous… On dit que, si une reine n’a pas d’argent pour fournir aux nécessités d’une fille qu’elle a aimée, elle peut bien au moins lui envoyer un présent qui témoigne qu’elle ne l’oublie pas, et lui donner après cela une pension qui assure sa subsistance, avec une lettre qui fasse connoître

  1. Vie manuscrite.
  2. Femme de service de la reine qui avait la garde de ses petits chiens.