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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/251

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à sa mère l’entière satisfaction que vous avez d’elle… Je suis si délicate en ce qui regarde l’opinion que toute la terre doit avoir de vous, que si Mlle de Chémerault n’avoit pas su le présent que vous m’avez fait, je n’eusse pu m’empêcher de le lui donner de votre part. Encore que j’aie appris avec dépit la peur que vous avez de déplaire à celui qui m’arrache d’auprès de vous, je proteste que vos timidités et vos complaisances me piquent beaucoup plus pour vous que pour moi, et que je me consolerois du mal qu’il m’a fait, si j’étois bien certaine que ce fût le dernier qu’il voulût vous faire. Adieu pour la dernière fois, madame ; je ne puis plus penser à ne vous voir jamais, et si cette mortelle imagination ne me donne relâche pour un moment, je ne vivrais même pas assez pour vous dire que je suis, madame, de votre majesté, la très fidèle, etc.. »

Tous ceux qui, à la cour et à Paris, avaient connu Mme de Hautefort, sa vertu, son désintéressement, son obligeance, sa libéralité, ne la virent pas s’éloigner sans un extrême déplaisir. Les plus inconsolables furent ses amans, comme on disait alors. L’un d’eux, le marquis de Noirmoutiers, ne pouvant résister à la violence de sa passion, s’échappa de Paris et courut au Mans pour la voir encore et dans l’espérance de la toucher ; mais Mme de Hautefort ne l’aimait point, et elle comprenait trop la dignité du malheur pour la compromettre en recevant une visite équivoque. Le brillant marquis n’obtint pas même une audience et un regard. Elle s’ensevelit dans une solitude profonde, ne recevant qu’un très petit nombre d’amis, entre autres le pauvre La Porte, qu’elle avait fort contribué, pendant le retour de son crédit, à tirer de la Bastille, et qui, exilé comme elle, habitait dans le voisinage. Ces deux âmes loyales et courageuses, bien séparées par leur rang dans le monde, s’étaient rapprochées dans leur fidélité à Anne d’Autriche et dans leur commune ardeur pour ses intérêts et pour sa gloire. La Porte avait vu Mme de Hautefort si intrépide, et il la savait si pure, si désintéressée, si bienfaisante, qu’il s’était donné à elle tout autant qu’à la reine et bien plus qu’à Mme de Chevreuse. Il n’était pas dupe de la feinte amitié de Mlle de Chémerault, et plus d’une fois il tenta d’éclairer Mme de Hautefort ; mais celle-ci rejetait bien loin ses soupçons, « ne pouvant pas seulement, dit La Porte[1], souffrir la pensée d’un tel crime, » et elle ne fut désabusée qu’à la mort de Richelieu, lorsque la reine lui envoya les lettres de Mlle de Chémerault, trouvées dans la cassette du cardinal.

C’est pendant ce séjour auprès du Mans qu’elle entendit parler de Scarron, de ses cruelles infirmités, et de la gaieté courageuse

  1. Mémoires, collection Petitot, p. 391, etc.