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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/359

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La simplicité de cet accueil déconcerta Gérard. — Mais, répondit-il avec un sourire fade, je vous avais vue, il était donc certain que je reviendrais.

Cette réponse était peut-être d’un goût douteux, et tout au moins le compliment qu’elle renfermait était-il d’une désespérante banalité ; cependant la petite Allemande le reçut comme s’il eût été le plus charmant du monde.

— Alors pourquoi vous faire attendre si longtemps ? reprit-elle d’un air de reproche.

Gérard se retrancha derrière la timidité, qui, à vrai dire, n’était pas son défaut ; il n’avait pas osé, il n’avait pas pu ; il s’embrouilla, et balbutia un peu. La jeune fille secoua sa tête blonde. — Tout cela serait très bon si nous nous connaissions d’hier, dit-elle ; mais entre nous pourquoi tant de façons ?

Pour le coup Gérard se trouva fort embarrassé ; il ne douta plus que l’Allemande et lui ne se fussent rencontrés dans quelque bal, à Paris ; mais il eut beau la regarder avec attention, ses traits ne lui rappelaient aucun souvenir. Il cherchait quelques mots pour répondre, lorsque la fille aux rubans bleus poursuivit avec vivacité :

— Vous viendrez nous voir, ma maison est tout près d’ici ; il y a un beau jardin avec une porte verte entre deux buissons de clématites et de chèvrefeuilles. Le soir, quand il fait clair de lune, c’est charmant. Nous prendrons du chocolat ; l’aimez-vous toujours ?

— Oui, répondit résolument Gérard, dont l’étonnement augmentait de minute en minute.

— Mais, reprit tout à coup son interlocutrice, pourquoi donc avez-vous changé de nom ? Vous vous nommiez Rodolphe autrefois, et j’ai bien entendu hier qu’on vous appelait Gérard. Gérard est très joli, mais j’aime mieux Rodolphe.

Gérard ouvrit de grands yeux et se gratta le front, cherchant une réponse, lorsque la vieille dame, qui jusqu’alors n’avait pas remué et semblait à cent lieues de la conversation, leva sur le jeune homme des yeux d’une expression si suppliante, qu’il s’arrêta court.

— C’est que, poursuivit la jeune fille, à laquelle les longs silences et les monosyllabes du faux Rodolphe ne paraissaient donner aucune surprise, c’est que vous voulez sans doute cacher votre retour à tout le monde ?

— C’est cela, dit Gérard.

— Eh bien ! moi, qui n’ai pas voyagé, je m’appelle toujours Thérèse.

— Vous avez bien fait, Thérèse est un nom charmant.

Gérard regarda par terre et se mit, avec le bout de sa canne, à tracer sur le sable des caractères fantastiques. Il sentait qu’il deve-