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pas la jeune fille que nous connaissons, heureuse dans les bras de l’Amour tant qu’elle se résigne à ignorer le visage de son mystérieux amant, et punie de sa curiosité par l’abandon et le désespoir. C’est une vierge qui converse librement et familièrement avec toutes les puissances de la nature, qui s’entretient avec les vents, avec les eaux, avec les fleurs, avec les chênes, et qui analyse ses moindres sentimens, ses émotions les plus fugitives, avec une finesse, une subtilité dont un étudiant de Goettingue ou de Heidelberg serait fier à bon droit. Naïve parfois, elle est presque toujours trop savante ; elle surveille, elle décompose sa pensée avec tant d’attention et d’adresse, que nous sommes sans inquiétude sur le sort qui l’attend. Une jeune fille qui voit si clairement ce qui se passe en elle même n’a rien à redouter de l’avenir. Quant à l’intervention des puissances de la nature, quant au dialogue de Psyché avec les torrens et les fleurs, avec la mer et les forêts, je n’ai pas besoin de démontrer tout ce qu’il a de contraire à la mythologie grecque. Chacun comprend en effet que cette intervention des puissances de la nature ne s’accorde ni avec Homère, ni avec Hésiode, ni avec Théocrite. Les Grecs avaient divinisé toutes les passions ; ils avaient même divinisé les puissances de la nature ; mais les néréides et les naïades, les hamadryades et les faunes, n’avaient rien de commun avec les doctrines de Spinoza, et dans la Psyché de M. V. de Laprade le panthéisme éclate à chaque page. Après avoir écouté la voix des roseaux et des forêts, la voix des ruisseaux et de la mer, on ne prête plus qu’une attention distraite à la voix de Psyché. L’héroïne du poème n’a pas plus d’importance que les interlocuteurs invisibles et mystérieux avec qui elle s’entretient. Or je ne vois rien de pareil dans la mythologie grecque. Minerve, Junon et Vénus, Jupiter, Mars et Vulcain sont animés des mêmes passions que nous, et s’ils dirigent par leur volonté, s’ils troublent par leurs caprices, les phénomènes habituels de la nature, on ne les voit jamais s’entretenir avec les chênes ou les rochers, les fleurs ou les torrens. La doctrine de Spinoza, que je n’ai pas à discuter ici, n’a rien de poétique. L’expression la plus savante, les images les plus heureuses, ne sauraient lui prêter le charme de l’émotion. La parole une fois donnée à toutes les puissances de la nature, l’importance de l’homme s’amoindrit singulièrement, et l’homme une fois devenu l’égal des choses, il devient très difficile d’intéresser en racontant ses joies et ses douleurs. M. de Laprade ne paraît pas avoir pressenti ce danger. Dans son poème de Psyché, la nature tout entière est douée de facultés lyriques : elle soupire comme Tibulle, elle s’anime comme Pindare ; elle raconte, elle prédit à la manière d’Homère et de Calchas. Et quand Psyché prend la parole, on refuse de la prendre pour une personne vivante, capable de joie et de souffrance. Les pensées charmantes ou graves,