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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/419

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les sentimens gracieux ou élevés que l’auteur a semés dans la première moitié de son poème, n’enlèvent rien à la vérité, à la justesse de ces remarques. Quand tout parle autour de l’homme, la parole humaine se perd dans la voix universelle. La jeune fille qui révèle ses pudiques émotions, ses inquiétudes naïves, se confond avec la brise qui agite le feuillage des chênes, avec le gazouillement du ruisseau sur son lit de sable, ce qui n’arriverait pas si la brise et le ruisseau n’avaient pas parlé.

Dans la seconde moitié du poème, je dois signaler un défaut d’une autre espèce : je ne me trouve plus en face de Spinoza, je me trouve en face de l’Évangile. Jupiter, assis sur son trône au sommet de l’Olympe, ressemble à Jéhovah, mais à Jéhovah attendri par les prières du Rédempteur. Les Grâces, qui intercèdent pour Psyché, sont nourries de la doctrine du Christ et partagent sa divine mansuétude. Par un singulier caprice, M. de Laprade voit dans les Grâces, que les Grecs appelaient Charités, l’expression, la personnification de la charité. Je ne crois pas que les hellénistes les plus complaisans consentent à lui donner raison. Abstraction faite de la différence profonde qui sépare la religion païenne de la religion chrétienne, je pense que la philologie ne saurait accepter une telle interprétation. Que les Grâces intercèdent en faveur de Psyché, belle et jeune comme elles, qu’elles demandent pardon pour sa curiosité, je le comprends ; qu’elles supplient Jupiter au nom de la charité, qu’elles parlent sur l’Olympe comme Jésus Christ à Nazareth, à Bethléem, je ne le comprends pas. Étant donné le sujet païen de Psyché, il faut absolument demeurer dans la donnée païenne. L’Évangile et la charité qu’il enseigne n’ont rien à voir dans le développement de cette fable ingénieuse. Dès que les Grâces, en plaidant la cause de la jeune fille séduite par Éros, dont les dieux et les déesses reconnaissent la toute puissance, invoquent des sentimens inconnus à l’antiquité païenne, le lecteur, troublé, désorienté, se demande où se passe la scène, et ne sait plus s’il est en Grèce ou en Judée. Elles ont beau parler une langue aussi douce que le miel, marcher d’un pas harmonieux et cadencé comme les jeunes canéphores des Panathénées : la splendeur de leur regard, la souplesse et la pureté de leur corps, qui se laissent deviner sous les plis transparens du lin, le son mélodieux de la voix, ne suffisent pas à leur donner un caractère païen ; je ne vois en elles que trois vierges chrétiennes égarées sur l’Olympe.

Le style de Psyché n’est pas non plus le style qu’appelait impérieusement le sujet. Tous les personnages se complaisent dans le développement de leur pensée, et trouvent pour la traduire des images abondantes et nombreuses. Or, quoique la Grèce fût éprise de la parole, ses plus grands poètes n’ont jamais été verbeux. Homère,