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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/565

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également sur la surface entière du territoire ; il suffit donc, à beaucoup d’égards, de ne pas troubler l’ordre naturel pour que ce fait salutaire se produise, sans rien changer à la liberté du travail.

Reste le patronage. S’agit-il de prêcher aux maîtres des rapports affectueux avec leurs subordonnés, une sollicitude vigilante sur leurs besoins, une application continue à les éclairer, à les défendre le plus possible contre les mauvaises chances, à leur donner à la fois de bons conseils, de bons appuis et de bons exemples ? Rien de mieux assurément, mais rien de plus connu. Une autorité plus haute a dit depuis longtemps : Aimez-vous les uns les autres. S’agit-il au contraire d’une institution légale imposant au chef d’industrie des obligations définies ? Ici recommence la difficulté ; le chef d’industrie hésitera toujours à prendre un engagement qu’il peut être dans l’impossibilité de remplir ; il est soumis lui-même aux chances de la concurrence. Ne voyez-vous pas d’ailleurs que vous étouffez dans son germe l’esprit de prévoyance ? Vous voulez développer cet esprit, dites-vous ; il est incompatible avec le patronage obligatoire. Vous nous l’avez prouvé vous-même ; tous ceux de vos ouvriers qui se croient garantis par une cause ou par une autre contre les chômages, les maladies et la vieillesse, ne font pas d’épargnes ; la plupart des autres en font au contraire et acquièrent, en devenant propriétaires, un rang plus élevé dans l’état. Est-ce à dire encore qu’il n’y ait rien à faire pour venir au secours de ceux qui, par la faute des circonstances ou même par leur propre faute, tombent dans la misère ? Non, sans doute ; la bienfaisance publique et privée est là pour y pourvoir, et nous voyons qu’elle ne fait pas défaut.

La liberté a ses inconvéniens : qui en doute ? Tout en a dans ce monde. Voyez cependant ces deux armées en présence, l’une composée de paysans français, l’autre de serfs russes ; à qui la victoire ? L’une défend pourtant le sol natal, la sainte Russie, la croix du Sauveur ; l’autre marche en avant sans savoir pourquoi, pour un intérêt vague, confus, éloigné ; mais elle a l’habitude de l’énergie, de l’initiative, de l’audace : elle sait entreprendre et oser. D’où lui viennent ces qualités précieuses ? Du sentiment qu’elle a de sa force pour l’avoir éprouvée ailleurs, dans les combats du travail. On y peut succomber, et ce danger toujours présent tient l’âme en éveil ; on y peut vaincre aussi, et cette perspective entretient l’émulation. Combien de soldats devenus officiers sur ce champ de bataille comme sur l’autre !

Si l’on cherche donc ce que sont devenues toutes les réformes annoncées, on ne trouve rien. Les grands principes de la société occidentale, la liberté et la responsabilité personnelles, sortent