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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/658

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l’accomplissait hardiment, l’Europe politique dut la souffrir, et elle n’en a pas encore vu toutes les conséquences.

Soyons donc, au milieu de nos vicissitudes sociales, moins empressés à blâmer, je ne dirai pas la sagesse de nos pères, mais les premiers et parfois les bons mouvemens de notre jeunesse, ou même de notre âge viril.

Au fond, l’émancipation de la Grèce, avec les souscriptions et les flottes de la France, tenait au même mouvement d’opinion qui voulait pour nous-mêmes des institutions représentatives, des lois équitables, et qui préparait de ses vœux l’indépendance de la Belgique et la liberté constitutionnelle du Piémont. C’était le même esprit de réforme et de progrès social. Il s’y joignait seulement chez les Grecs un élan désespéré de courage, et au dehors un zèle d’humanité plus sincère qu’on ne l’a pratiqué dans d’autres temps. Ce n’était pas, en effet, une simple amélioration légale, une réforme politique qui était en jeu, mais la vie de quelques centaines de milliers d’êtres humains, sur lesquels s’acharnait une rage stupidement destructive. Il fallait livrer à l’anéantissement la race grecque d’Europe, ou intervenir, comme on l’a fait. C’est en cela que le dévouement de Byron et d’autres courageux étrangers fut une grande et bonne action ; c’est en cela que le général Fabvier, ce sauveur de la citadelle d’Athènes, donna le plus admirable exemple et mérita la reconnaissance que la nation grecque[1] paie aujourd’hui dignement à sa mémoire et à sa noble veuve ; c’est en cela que l’expédition conduite par le général Maison et la campagne maritime de l’amiral de Rigny furent deux actes qui honoreront à jamais la France.

Quand même du contre-coup de ces actes libérateurs il aurait dû sortir, dans un temps plus ou moins obscur et lointain, quelque chance pour une ambition ennemie de l’Orient, et avec raison suspecte à l’Occident, alors même nous dirions que ces actes étaient bons et légitimes, sauf à en surveiller les suites ; mais l’objection même ne se présentait pas. Au point où l’irritation des deux races était arrivée, avec la sanguinaire stupidité du gouvernement turc de 1825, la Porte ne pouvait plus posséder l’Attique et la Morée : elle pouvait faire deux déserts de plus, dans un empire confus et délabré. Le retranchement de territoire qui lui fut infligé, et bientôt après la perte de l’Algérie, devinrent plutôt un avertissement utile à ce qui restait de force vitale à la domination turque. C’est depuis lors, en effet, que cet empire intrus dans l’Europe, qui n’en avait pas pris les mœurs, qui ne s’était assimilé aucune portion de

  1. Moniteur grec des 4 et 11 décembre 1853.