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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/731

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en quelques années, cela est vrai ; mais ce miracle n’est pas plus extraordinaire que celui de Milwaukie, qui, en dix ans, s’est élevée de mille à vingt mille habitans, et de Chicago, la reine des prairies, dont la croissance a été à peu près semblable. Ce miracle se reproduit sur tous les points de l’Amérique et tous les jours de l’année ; il n’est point dû à la bible de Mormon ; il a précédé Joseph Smith, il s’accomplit sans ses disciples, il s’accomplira encore lorsqu’il ne sera plus question d’eux.

Les mormons, en effet, sont destinés à passer, la religion de Joseph Smith est condamnée à s’éteindre. Il est impossible qu’un phénomène aussi scandaleux vive et prospère. La persécution leur a prêté un moment une certaine force de fanatisme et d’union, et le désert leur a prêté ensuite la force que donne l’isolement. Tant qu’ils resteront dans leurs montagnes, tant que l’Union n’aura point de contact avec eux, l’absence de tout élément étranger, la distance établie entre le monde païen et leur cité sainte, gardée et préservée par un cortége de fatigues et de dangers, maintiendront les lois sous lesquelles la colonie est née et a grandi ; mais lorsque l’Union se sera rapprochée d’eux et qu’ils se seront rapprochés de l’Union, une double alternative se présentera : ou bien ils feront passer leur qualité d’Américains avant leur qualité de saints, et alors, au bout d’un certain temps, la secte politique disparaîtra et les mormons consentiront à vivre dans la grande république aux conditions des autres états, ou bien ils préféreront leur qualité de saints à celle d’Américains, et alors recommenceront infailliblement les scènes de Kirkland, du Missouri et de Nauvoo. Quoiqu’il ne soit pas temps encore de prononcer sur cette secte et qu’on ne puisse augurer de l’avenir qui lui est réservé, quoique l’histoire nous présente en outre l’exemple de grandes injustices qui ont réussi et de mensonges que la postérité a amnistiés, cependant il est impossible d’attribuer une longue vitalité à une imposture du genre de celle de Joseph Smith, et ce qui le prouve, c’est qu’à part le bon état de la colonie, la secte demeure en plein statu quo ; elle vit, mais elle ne grandit pas. Malgré les agences d’émigration établies dans tous les états de l’Europe, la population n’augmente pas. Les mormons se vantaient d’être environ vingt-cinq mille en 1850, trois ans après leur établissement dans l’état de Déseret ; ils sont encore aujourd’hui vingt-cinq mille, près de dix ans après leur installation. Ce fait pourra surprendre certaines personnes ; c’est le seul de toute cette triste histoire qui ne nous surprenne pas, car il n’est point possible que Dieu permette à un mensonge d’obtenir plus qu’un demi-succès.


Émile Montégut.