Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 1.djvu/850

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la seule chance qu’il y ait du mal, vous voulez nous ôter la vie ! (Entre un officier.)

« L’OFFICIER. — Marzio est mort.

« LE JUGE. — Qu’a-t-il dit ?

« L’OFFICIER. — Rien ! Sitôt étendu sur la roue, il nous sourit comme quelqu’un qui a eu le dessus sur un adversaire, et, retenant son haleine, il mourut.

« LE JUGE. — Alors il n’y a plus qu’à appliquer la question à ces prisonniers-ci, qui semblent vouloir nous braver. »


Et en effet la question est appliquée à tous les trois, et Lucrèce et Giacomo Cenci, vaincus par la douleur, avouent tout, tandis que Béatrix, indomptable après comme avant, demeure hautaine à la torture comme à l’interrogatoire. Une seule fois elle faiblit, lorsqu’apprenant sa condamnation à mort, elle s’épouvante à l’idée de cette éternité où peut-être elle retrouvera son père ! « S’il n’y avait pas de Dieu ! s’écrie-t-elle dans son égarement momentané, si ciel et terre n’étant plus rien, — tout dans le vide immense, — tout n’était que — lui ! l’âme de mon père ! Si son regard et sa voix m’entouraient de toutes parts, étant l’atmosphère et le souffle de ma morte vie ! » Mais ce n’est que l’émotion d’un instant ; sa piété et sa forte nature reprennent vite le dessus, et sa belle-mère et son frère ne trouvent d’appui que dans sa sérénité et dans son calme. Son attitude en sortant de la prison pour marcher au supplice, et en faisant ses adieux au cardinal Camillo, qui, atterré, ne sait que dire : « oh ! madonna Béatrix ! » est empreinte d’une douceur attendrissante et d’une dignité suprême. On voit bien que chez cette Romaine de seize ans il ne peut s’agir jamais que des « tourmens de l’âme, » ainsi qu’elle-même le dit, et soit qu’elle se venge ou qu’elle se défende, qu’elle résiste ou qu’elle se résigne, qu’elle lutte ou qu’elle succombe, il est impossible de porter à un degré plus absolu le dédain et l’oubli de tout ce qui est souffrance matérielle.

Résumons-nous maintenant. L’école ou la filiation de Shelley continuera-t-elle ? est-elle interrompue sans retour ? faut-il la renouveler sur un point, la corriger sur d’autres ? Nous n’hésitons pas à le dire, Shelley, digne d’être imité dans les formes de son art, ne le sera pas dans la partie la plus intime de cet art qui tient à sa personne même, à sa souffrance, à sa jeunesse, aux maladies de son âme, qui se confondent avec les caractères de son génie. Tout cela ne s’emprunte ni ne se renouvelle.

Demeure-t-il également inimitable par la richesse et l’éclat de son style, par sa profonde science de la langue anglaise ? Cela est plus difficile à dire. Après avoir dû constater le progrès du réalisme dans l’expression, — chose surtout remarquable chez la jeune école