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Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 2.djvu/183

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les destinées humaines et par conséquent la date d’un nouveau point de départ historique, c’est le moment où l’on voit l’humanité agrandir son âme par des découvertes morales ou agrandir le théâtre de son action par des conquêtes sur la surface du globe. Il y a deux choses essentielles dans l’histoire : l’esprit humain qui est le héros du drame et le globe terrestre où le drame se déroule; trouvez une période qui ait délivré l’esprit de ses liens antérieurs et qui ait étendu son action sur la terre, vous pourrez dire que c’est là une période créatrice, et vous aurez le droit d’en faire un point de départ. Telle a été la grande époque de la civilisation hellénique. Socrate révèle l’esprit humain à lui-même, Aristote résume la science universelle, et Alexandre par son expédition en Asie agrandit le théâtre où s’exerce l’activité humaine. Pour retrouver un mouvement comparable à celui-là, il faut attendre le XVIe siècle de l’ère chrétienne. La renaissance et la réforme, en affranchissant la pensée de l’homme, lui ouvrent des perspectives infinies, et la découverte du Nouveau-Monde nous met en possession du globe. Entre Socrate et Luther, entre Alexandre et Christophe Colomb, il n’y a qu’une longue période transitoire, il n’y a pas de siècle créateur. Socrate, Aristote et Alexandre le Grand avaient délivré l’homme des entraves du monde ancien; la renaissance, la réforme et la découverte de l’Amérique l’ont délivré de l’ignorance et de la barbarie du moyen âge.

On voit avec quelle résolution M. Gervinus supprime l’influence du christianisme dans les destinées du genre humain. Faut-il réfuter de telles erreurs? Je les signale seulement comme un des traits caractéristiques de ce vigoureux esprit. Nous avons ici la clé de bien des énigmes. On sera surpris souvent de rencontrer chez lui une pensée à la fois si ferme et si étroite; on ne comprendra pas ce singulier mélange d’élévation et de vulgarité, de généreux élans et de pédantisme; on ne s’expliquera pas qu’avec un sentiment si vif des droits et de la dignité de l’homme il ait l’intelligence aussi fermée à maintes choses qui sont l’honneur et le charme de notre nature. Pour moi, qui viens de lire cet écrit, je suis préparé à tout. J’ai pénétré le secret de ce cœur, et je compatis à ses colères. Quoi ! il parle des découvertes morales, des découvertes matérielles, qui ont agrandi l’âme humaine ou le théâtre de son action, et il ne voit pas que de toutes ces découvertes, la plus grande et la plus merveilleuse, c’est précisément le christianisme ! Il veut affermir dans les consciences le sentiment du droit, et il méconnaît l’action sociale de l’Évangile! Il proclame que la réforme religieuse du XVIe siècle est l’événement le plus décisif de l’histoire depuis la révolution philosophique de Socrate, et il oublie que cette réforme est avant tout une entreprise chrétienne ! Étrange préoccupation d’un patriotisme jaloux et